La préfecture de police de paris (PP) publie ce mercredi 14 mars dans son infolettre PPrama n°206 un sujet sur les fraudes sociales à Paris, indiquant notamment que 148 employeurs ont été mis en cause en 2011, soit un tous les deux jours à raison de cinq jours de travail par semaine… L’occasion de publier quelques chiffres fournis par la PP, en les mettant dans un contexte plus “national”, à moins de quarante jours du premier tour de l’élection présidentielle, et de voir —deux ans après la généralisation des CODAF— que la fraude sociale détectée concerne trois fois plus les entreprises que les particuliers.
A part les fraudes à la CAF, sur des montants assez faibles, qui nécessitent un petit peu d’ingéniosité et sont vouées à disparaître, les autres fraudes sociales se font toujours soit avec la complicité soit au bénéfice de professionnels.
Pourtant, il ne se passe pas une semaine, ou presque, sans que le candidat Sarkozy, et voici peu le président et divers ministres des gouvernements Fillon, n’alimentent l’actualité de sujets sur la «fraude», souvent pour montrer du doigt les étrangers, parfois pour culpabiliser les chômeurs et précaires (lire l’encadré sur le CODAF). L'UMP aussi, faisant l'amalgame «étranger = fraudeur + voleur».
On a eu en 2010 l’exemple marquant de Lyes Ebbadj, carrément présumé coupable de fraude (et de polygamie) par Brice Hortefeux, et qui a fait l’objet d’un non-lieu voici un mois. Le ministre de l’Intérieur de l’époque avait pourtant mis le paquet, allant jusque devant la représentation nationale accabler le conjoint de la femme verbalisée en niqab.
Plus récemment, une proposition a été émise par Xavier Bertrand de publier dans la presse les noms des fraudeurs aux prestations sociales, alors que les différentes caisses, sur tout le territoire, sélectionnent et affichent les affaires —réglées à l’amiable ou en justice— les plus significatives de leur ressort et les placardent, sensibilisant ainsi les allocataires qui viennent patienter. En clair, la proposition de Xavier Bertrand, techniquement difficilement réalisable et que personne ne lirait (les textes seraient trop long et tout le monde n’achète pas le journal pour savoir ce qui se passe à l’autre bout de la France) non seulement est redondante avec ce qui se fait déjà mais en sus est moins «percutante» car à l’heure actuelle l’allocataire sait ce qu’il risque réellement en fraudant dans la caisse où il fait ses démarches.
La PP indique pour Paris les préjudices suivants en 2011:
• pour la CAF, préjudice global estimé à plus de 5,1M€, 682 dossiers frauduleux examinés, 153 plaintes déposées; sur l’ensemble de la France, les “pertes réelles” des CAF étaient de 100M€ en 2010;
• pour la CPAM, préjudice subi de plus de 3M€, 116 procédures pénales engagées;
• pour la CNAV, préjudice constaté 1M€, plus de 7M€ de préjudice évité, 1400 enquêtes diligentées et 1900 contrôles effectués.
• pour la BRDA, préjudice global estimé de plus de 4,4M€; la BRDA, brigade de répression de la délinquance astucieuse de la PP, est spécialisée dans les affaires économiques et financières. Sa cellule de lutte contre les fraudes sociales a été créée dès le 1er janvier 2008 et travaille au sein du CODAF, le comité opérationnel départemental antifraude. Elle est dirigée par une femme, la commissaire divisionnaire Michèle Bruno.
Médicaments et… professionnels de santé
En gros, Paris représenterait donc 10M€ de fraude sociale par an, seule une partie du travail de la BRDA étant concernée, l’essentiel de son travail étant dans les moyens de paiement. En 2011, la BRDA a traité le cas de deux infirmières pour une fraude de 600.000€ au préjudice de la CPAM et celui d’un chauffeur de taxi agréé CPAM pour un préjudice de 700.000€.
«En 2011, le service a plus que doublé son activité», explique la commissaire divisionnaire Michèle Bruno, ajoutant que «les chiffres des deux premiers mois de 2012 confirment cette tendance. Ils concernent essentiellement des professionnels de santé ainsi que des nomades médicaux. En 2011, la cellule a résolu sept affaires de ce type pour un préjudice d'environ 200.000€».
La notion de nomadisme médical, pour la responsable de la cellule contre les fraudes sociales à la BRDA, «recoupe les fraudes commises par des assurés sociaux qui, essentiellement, se font remettre en toute illégalité et dans des proportions incompatibles avec un usage thérapeutique personnel des médicaments qu'ils revendent par la suite en France ou à l'étranger.»
La commissaire explique que «quelquefois» l’assuré social utilise sa propre carte Vitale mais que «la plupart du temps» la fraude est le fait d'escrocs ayant en leur possession des cartes volées.
Avec «plusieurs fois la même prescription» (éventuellement falsifiée par la suite ) ou des ordonnances confectionnées maison, «ces individus, bien souvent toxicomanes, ont ainsi trouvé le moyen de se procurer des médicaments rares et de grande valeur afin d'alimenter divers trafics». Les cartes Vitale sont utilisées sur un laps de temps très court et en écumant les pharmacies: dans certains dossiers jusqu’à 300 pharmacies.
La police cite l’exemple d’un bénéficiaire de la CMU qui, de 2008 à 2011, usant de fausses ordonnances notamment pour des substituts de stupéfiants, a causé plus de 4.600€ de préjudice à la CPAM75 et celui d’un toxicomane qui, entre 2010 et 2011, a consulté 13 médecins, s’est rendu dans 15 pharmacies, et a obtenu 429 boîtes d’un substitut à l’héroïne pour un préjudice de plus de 8.700€.
Travailleurs sans-papiers… et employeurs
Gilles Beretti lui aussi commissaire divisionnaire, est chargé de mission à la tête de l’UCLIC, l’unité de coordination de la lutte contre l’immigration clandestine, basée dans le 12e arrondissement de Paris, et parfois ressentie comme une unité anti-Roumains du fait de certaines de ses actions.
Au sein de la direction territoriale de la sécurité de proximité de Paris (DTSP75), et plus particulièrement ses services de l’accueil et de l’investigation de proximité (SAIP), sont programmées des opérations de lutte contre le travail illégal, qui visent «essentiellement», explique-t-il, «les débits de boissons, restaurants et commerces de proximité sans s'interdire des chantiers du bâtiment par exemple».
C’est en débusquant des travailleurs sans-papiers (donc «non déclarés aux organismes sociaux et fiscaux ou démunis de titres de séjour ou/et de travail» pour reprendre la définition du commissaire Beretti) que les procédures diligentées par la DSTP75 sont transmises à l'UCLIC.
Depuis quelques années, la législation permet à différents organismes de communiquer entre eux. Ainsi, par exemple, les déclarations CAF sont recoupées par la caisse locale avec, par exemple, les déclarations fiscales. Ce fameux croisement de fichier, dont l'acruel ministre Claude Guéant fait la promotion, existe en réalité depuis quatre ans (lire l'encadré ci-dessous). Sans lui, les CODAF ne pourraient pas travailler…
C’est en utilisant cet outil numérique que travaille l’UCLIC, dont la finalité, explique le commissaire Berretti, est de «permettre à l'Etat de récupérer les sommes soustraites aux cotisations sociales et à l'impôt en faisant, pour le compte des SAIP, toutes les demandes d'application des contributions forfaitaires et spéciales qui doivent être versées par les employeurs d'étrangers sans titre de séjour et de travail».
En 2011, indique le chef de l’UCLIC, 148 employeurs ont été mis en cause pour l’emploi de 206 employés. 101 n’étaient pas déclarés et 105 n’avaient pas de titre de travail. Et, depuis le début 2012, dix-huit affaires de travail dissimulé ont été traitées.
Des policiers parisiens bénéficient actuellement d'une formation spécifique au travail dissimulé et à la lutte contre les fraudes. Des volontaires des différents districts suivent (ou suivront) cette formation jusqu'au mois de juin 2012. Par ailleurs, une formation complémentaire sur la fraude aux allocations familiales va être mise en place avec le concours de la CAF de Paris.
Sur le plan national, en 2010, 185M€ de redressements ont été recouvrés par les caisses de sécurité sociale, selon ce rapport parlementaire de juin 2011, qui indique que, dès 1993, «le travail illégal représentait une perte de cotisations sociales comprises entre 6,6 et 10,4 milliards d’euros».
Il peut arriver à d’autres policiers de travailler avec le CODAF. Ce fut le cas voici une dizaine de jours avec les Boers, la police des taxis. A l’occasion de la Semaine de la mode (la “Fashion Week”, comme on dit en bon français), soit du 29 février au 7 mars, les Boers ont surveillé l’activité des taxis qui prenaient en charge les mannequins. Sur 673 véhicules contrôlés, 74 infractions relevées: 50 contraventions et 24 délits, dont 19 pour travail dissimulé.
Petites fraudes au quotidien
Dans les fraudes à la CAF, le PPrama de ce mercredi 14 mars ne cite que deux exemples:
• Un homme vivant à l’étranger a communiqué à la CAF75 de fausses quittances de loyer et un faux certificat de scolarité afin de faire croire que l’ensemble de la famille résidait en France, percevant ainsi indûment diverses allocations familiales pendant trois ans, montant de la fraude: plus de 20.000€.
• Entre 2007 et 2008, sous couvert d’une identité usurpée et en faisant usage d’une carte nationale d’identité française obtenue indûment, un homme a pu obtenir le RMI et détourner ainsi près de 8.000€.
Des exemples qui, de nos jours, devraient aller en se raréfiant, et voici pourquoi:
• Pour ce qui est du premier exemple à 20.000€ sur trois ans (soit 7.000€/an pour l’ensemble de la famille, en cumulant les aides), il y a depuis l'année civile 2009 une nouvelle procédure mise en place par la CAF: la quittance de loyer n’est transmise que la première année par le demandeur, et la CAF la demande les années suivantes au bailleur. Donc sauf à changer de résidence chaque année ou à relever quotidiennement le courrier du propriétaire de son logement, il est impossible de faire durer cette fraude plus d’un an.
• Pour ce qui est de la perception indue du RMI (ou RSA), soit 400€/mois en 2007 ou 417€ par mois en 2012 pour un célibataire sans enfants (la police parle de 8.000€ en 2007 et 2008 donc sans doute sur vingt mois), se procurer “indûment” une carte nationale d’identité devient plus difficile par la mise en place du «fichier des gens honnêtes».
Fabien Abitbol, ill.: DRCPN
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Les CODAF, c’est quoi ?
Les CODAF ont été créés par un décret interministériel du 18 avril 2008.
Cela n’a pas empêché certains médias, comme ici Le Parisien du 29 novembre 2011, de les présenter comme un «dispositif pilote, expérimenté dans le Val-de-Marne depuis le mois de septembre», à l’occasion d’une visite du ministre de l’Intérieur Claude Guéant. C’est que le président Sarkozy, deux semaines plus tôt à Bordeaux, avait fustigé les assurés sociaux, présumés fraudeurs, qui «volent la Sécurité sociale».
En réalité, c’est deux ans après le décret d’avril 2008, en mars 2010, que les CODAF (comités opérationnels départementaux anti-fraude) ont été généralisés à toute la France, comme l’indique ici le ministère du Budget.
Les CODAF sont compétents sur les fraudes sociales, les fraudes fiscale et douanière et sur le travail illégal.
Sous la co-présidence du préfet et du procureur de la République, les CODAF réunissent les services de l’Etat (police, gendarmerie, administrations préfectorale, fiscale, douanière et du travail) et les organismes locaux de protection sociale (Pôle emploi, URSSAF, caisses d’allocations familiales, d'assurance maladie et de retraite, le régime social des indépendants RSI, et la MSA) «afin d’apporter une réponse globale et concertée aux phénomènes de fraude» tant sur les prélèvements obligatoires que sur les prestations sociales.
Ils obtiennent, selon le ministère, «des résultats en très forte progression». En 2010, au plan national, 70M€ de fraudes fiscales et douanières ont été détectées, ainsi que 75,5M€ de fraudes sociales liées au travail dissimulé et 25,5M€ de fraudes aux prestations sociales.
En euros, les CODAF ont dont trouvé trois fois plus de fraude auprès des entreprises qu'auprès des particuliers.
F. A.
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