La présomption d’innocence, renforcée en France par la loi du 15 juin 2000, a été brandie dimanche (comble de l’ironie) par Eric Woerth, ancien ministre du Budget empêtré dans diverses affaires. Et ce au sujet d’un autre ancien ministre de l’Economie, Dominique Strauss-Kahn, suspecté par la police américaine de turpitudes à l’endroit d’une femme de chambre dans un hôtel new-yorkais.
La femme de chambre n’avait pas donné son Accor, dit-on. Oui, le jeu de mots était facile, le Sofitel appartenant au Groupe français Accor, mais c’est un blogue affilié au Nouvel obs qui relève certains points de pure logique.
Les médias n’hésitent pas à nommer la femme de chambre du Sofitel «présumée victime» (ou «victime présumée»), semant le doute sur son témoignage, et faisant fi, si elle a réellement subi des violences, de ses souffrances. Le terme de «plaignante», juridiquement exact, me paraît plus neutre et plus approprié.
Mais, là où les réactions des médias français sont pour le moins étranges, c’est à l’endroit du suspect.
Un discours le dimanche, une photo le lundi
Quoi que l’on pense de Dominique Strauss-Kahn, nombreux sont les médias qui rappellent son goût —son appétence— pour les femmes. On peut utilement lire le sujet de Zineb Dryef publié dimanche sur Rue89.
Toutefois, les médias français dans leur ensemble, font du suspect un «présumé innocent», puisque M. Strauss-Kahn n’a pas été jugé, et n’est donc pas reconnu coupable. Ils appliquent en cela la loi Guigou du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Et à juste titre. Comme le font les hommes politiques, dans leur ensemble. Dans leur ensemble car le député (UMP) de Paris Bernard Debré s’est nettement démarqué, depuis dimanche, affirmant sur son blogue que DSK allait «peut-être être condamné à une peine de prison» et l’enjoignait, quand il en sortirait, de disparaître dans son ryad marocain. Ce matin, depuis Shanghaï, il indiquait même, sur le site de l’Express, que l’hôtel Sofitel avait «étouffé d’autres affaires» concernant le favori des sondeurs pour la présidentielle de 2012.
Et c’est précisément ce lundi matin que la même présomption d’innocence a été bafouée par les médias français.
Alors que Dominique Strauss-Kahn quittait la nuit dernière (au petit matin, heure de Paris) le poste de police où il avait passé plus de 24 heures, en direction d’un hôpital, il a été pris en photo par des journalistes qui l’attendaient. Comme cela se fait souvent aux Etats-Unis. Comme cela est chose courante dans de nombreux pays. Comme cela se pratiquait en France jusqu’à l’an 2000. Une période pas si lointaine, mais où les chaînes d'information en continu n'étaient pas légion, la TNT n'était pas dans tous les ménages, et l'Internet se développait doucement. Pour certains, l'an 2000 c'est il y a une éternité, la mémoire est sélective.
Dans ma vie de jeune journaliste, j’avais —par exemple— photographié un vice-président du Conseil général de la Guadeloupe, menottes au poing, escorté à pied du Palais de justice de Pointe-à-Pitre à la toute proche maison d’arrêt. Et cette photo, publiée dans le quotidien local France-Antilles puis reprise par d’autres médias, n’avait choqué que quelques élus du RPR, l’ancêtre de l’UMP. Ceux-là fustigeaient alors davantage le «juge rouge» qui avait envoyé en détention provisoire ce suspect —et cette façon de le traîner en place publique— que l’auteur de la photo et le support dans lequel elle avait été publiée, qui faisait partie du Groupe Hersant, dont les opinions politiques sont loin d’être à gauche. Le magistrat en question avait par la suite fait l'objet d'une tentative d'assassinat… cas très rare dans l'histoire de la Ve République.
Mais revenons à DSK…
Nous sommes en 2011. La loi Guigou s’applique depuis plus de dix ans, donc. Et que voit-on dans les médias français de ce lundi 16 mai? Une photo du directeur général du FMI qui, très vraisemblablement, porte des menottes. Du moins a-t-il les bras derrière le dos.
Dans le même ordre que cette photo de Robert Stolarik pour le New York Times, il y a celle-ci de Reuters sur le site de RFI, ou celle-là d’une agence de presse sur le site contributif du Nouvel Obs.
Il serait trop long d’énumérer les sites Internet, blogues et… chaînes de télévision qui ont montré de telles images. Et toutes se ressemblent et font penser aux séries américaines davantage qu’à la presse quotidienne régionale d’avant l’an 2000. La mémoire est sélective !
Sur Legavox, Me Anthony Bem, avocat au barreau de Paris, se livre à une analyse de la situation devant laquelle la presse française s’est trouvée ce lundi. Pour lui, il s’agit tout bonnement d’une atteinte à la présomption d’innocence.
L’avocat décortique la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Selon Me Bem, «il semble que la diffusion de ce type de photographies puisse porter atteinte à la présomption d’innocence et entrer sous le coup des dispositions de l’article 35 ter, de sorte que les rédactions et éditeurs de sites Internet engageraient leur responsabilité le cas échéant».
Il fait également état d’une Ordonnance de référé par laquelle le TGI de Paris avait jugé, le 13 juin 2006, que l’interdiction posé par l’article 35 ter s’appliquait indifféremment, que les menottes ou entraves soient ou non visibles sur l'image diffusée.
A mon sens, Dominique Strauss-Kahn a été traité dimanche 15 mai par les médias français avec beaucoup plus d'égards que la plupart des suspects, délinquants présumés ou criminels présumés, pour des faits commis en France ou à l'Etranger. En revanche, les images diffusées, toujours en France, lundi 16 mai —dont certains diront peut-être qu'elles appuient un fait d'actualité, au sens où l'entend la CEDH— portent atteinte à la présomption d'innocence d'un homme pas encore jugé. Il a médiatiquement été traité lundi comme un coupable.
Mise à jour.— Mardi, Me Dominique de Leusse, l'un des avocats de DSK, a annoncé qu'une décision serait prise dans les jours qui viennent quant à d'éventuelles poursuites contre les médias qui ont contrevenu à la loi Guigou sur la présomption d'innocence (ci-dessus copie d'écran du site d'Europe1, cliquer pour agrandir).
Fabien Abitbol, photo: détourage de la photo parue en ouverture du New York Times
La façon US de traîner des personnes avec des menottes, coupables ou non, jugées ou non, est bien connue. C'est systématique, et selon cet article cela ne s'applique pas qu'aux USA. C'est tout simplement la règle, et cela n'a semble-t-il rien à voir avec la présomption d'innocence.
Que nous ayons maintenant en France des règles différentes est tout à l'honneur de notre pays. Quant à ce qui se passe ailleurs, et qui est relayé par la presse ou le Net, pourquoi pas, puisque cela n'a rien à voir, comme je l'indiquais plus tôt, avec la présomption d'innocence. Un Français qui a passé 20 ans aux States me disait récemment qu'il s'agit d'une obligation qu'ont les policiers d'entraver toute personne qu'ils mettent à l'arrière d'une voiture. C'est comme çà.
Rédigé par : Gotch | 16/05/2011 à 21h51
@Gotch,
En France, c'est resté souvent pareil. Mais depuis 2000 nous n'avons dans les médias plus le droit de le montrer. Ce qui m'a choqué est d'une part qu'on le montre et d'autre part qu'on s'en offusque.
Rédigé par : Ménilmuche | 17/05/2011 à 01h05
Une grande déception...
Rédigé par : rob | 17/05/2011 à 12h32
Edgar Poe a inventé un mot : "hyperobstrusif".
On pourrait l'appliquer à l'Amérique.
Il signifie qu’il y a quelque chose « de trop » dans leur dispositif…
Tout y est chargé… surchargé... de fausses petites pudeurs...
toutes prêtes à trancher la tête d’un homme...
pour une caresse de trop…
http://www.lejournaldepersonne.com/2011/05/ask-anne-strauss-kahn/
Rédigé par : le journal de personne | 17/05/2011 à 16h29