Voici six ans, le 16 avril 2004, le journaliste Guy-André Kieffer disparaissait à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. Pas de nouvelles de lui depuis. Deux enquêtes, l’une française l’autre ivoirienne, sont toujours en cours. La famille rencontre la presse ce jeudi 15 avril au siège de Reporters sans frontières (RSF) à Paris. Demain vendredi, une soirée cultuelle est organisée au Musée Dapper. En Côte d’Ivoire, une campagne d’affichage routier est prévue. Sur le site de soutien, le compteur en bas à droite égrène les jours…
« Une affaire d’Etat encore secrète », pour La Lettre du Continent n°586 en date du 15 avril. Voilà en quelques mots
comment on pourrait, à l’heure actuelle, résumer la disparition, il y a six
ans, de Guy-André Kieffer (GAK), alors qu’il « enquêtait sur la
récupération de fonds secrets déposés en septembre 2000 », précise le
dernier organe de presse français pour lequel GAK a travaillé.
Le 16 avril 2004, en début d’après-midi, Guy-André Kieffer
(GAK) était enlevé en plein centre d’Abidjan, sur le parking d’un supermarché, par
un commando, alors qu’il avait rendez-vous avec Michel Legré, un beau-frère de Simone
Gbagbo, l’épouse du président ivoirien. Depuis cette date, il n’a plus donné
aucun signe de vie, et des éléments de l’enquête française donnent à penser
qu'il a probablement été exécuté dans les deux jours qui ont suivi son
enlèvement.
Dans le volet ivoirien de l’affaire, Michel Legré a été
inculpé d’« enlèvement, séquestration et assassinat ». En France, où le
grief d’« assassinat » n’existe pour l’instant pas dans le dossier (l’enquête est
ouverte pour « enlèvement et séquestration ») il a été mis en examen en octobre
2004, mais n’a jamais été entendu par la justice française dans le cadre d’une
« remise temporaire », comme cela avait été demandé, les autorités
ivoiriennes y faisant obstacle. Sur son blogue, le journaliste ivoirien André
Silver Konan s’est livré à un résumé des deux enquêtes, à lire ici. Il y évoque aussi un événement passé plutôt inaperçu en
France : l’évasion d’un témoin, l'été 2009, emprisonné pour… faux témoignage. Cet homme,
manifestement, avait bien préparé sa sortie.
C’est aussi au cours de l’été 2009 qu’allait être diffusé
sur France 3 un témoignage (enregistré en avril) indiquant que GAK aurait été tué par erreur. Témoignage dont l’auteur lui-même est fortement remis en
question par les autorités ivoiriennes : le parquet militaire d’Abidjan a déposé plainte contre ce témoin.
En règle générale tout au long de cette enquête, à chaque fois
que la justice française fait un pas un peu plus visible que les autres, on
peut s’attendre à ce que la justice ivoirienne allume un contre-feu, comme on
peut le voir au fil des sujets du dossier Kieffer.
« Les juges d’instruction français en charge de cette
affaire ont très vite établi la probable implication de hauts dignitaires du
régime ivoirien dans cette disparition. Malgré l’omerta qui entoure cette
affaire, malgré tous les obstacles qui se sont dressés devant eux, ces juges n’ont
pas cessé d’avancer vers la vérité. De lourdes présomptions pèsent sur les
commanditaires présumés et les exécutants probables de ce qui ressemble fort à
un “crime d’Etat”. », affirme Bernard Kieffer, frère cadet du journaliste
disparu, partie civile, qui estime qu’il est « indispensable de maintenir
une pression médiatique autour de cette affaire qui embarrasse de plus en plus
la présidence ivoirienne, pour qu’elle ne s’enlise pas dans le marais des
relations tumultueuses franco-ivoiriennes ».
En Côte d’Ivoire
« Aujourd’hui, c’est Guy-André Kieffer, demain ça peut
être un autre journaliste », explique Baudelaire Mieu, du collectif ivoirien Vérité pour Guy-André Kieffer, qui lance
pour « la première fois » et pour une quinzaine de jours une campagne
d’affichage de photos de 12m2 dans la capitale économique ivoirienne. Il ne
veut pas, explique-t-il, que l’affaire Kieffer soit « sacrifiée sur le réchauffement
des relations franco-ivoiriennes ».
Comme à l’occasion du quatrième anniversaire de la disparition de GAK, en 2008,
plusieurs journaux ivoiriens devraient se joindre à cette campagne de
sensibilisation, dont le mot d’ordre est une simple question : où
est-il ? Pour mémoire, en 2009, Baudelaire Mieu était venu en France, où
il avait participé à Lyon à une conférence de presse autour des similitudes
entre la disparition de GAK en Côte d’Ivoire et la mort du juge Borrel à Djibouti (lire ici).
En Côte d’Ivoire, depuis le mois de février 2010 (date à laquelle Laurent Gbagbo a décidé de dissoudre la commission électorale), les articles de presse évoquant
l’assassinat de Jean Hélène, la disparition de Guy-André Kieffer ou la liberté de la presse
sont monnaie courante.
Dans cette relation des journées de mars dernier organisées par le RDR de Alassane
Ouattara en hommage aux morts des manifestations de 2004, on peut notamment
lire : « …tous les charniers de Yopougon, les escadrons de la mort
ont à peine émus les amis socialistes français. L’assassinat de Jean Hélène, la
disparition de Guy-André Kieffer, les slogans : “A chacun son blanc”,
publiquement affichés lors des meetings de ceux qu’il est convenu d’appeler les
“jeunes patriotes” ont fini par rendre la refondation et ses décideurs
infréquentables. L’aveu vient de François Hollande, alors secrétaire général du
Parti socialiste français. Le régime Fpi a usé de la violence sans modération ».
Même la disparition du mathématicien et homme politique tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh, enlevé à son domicile le 3 février 2008 (pétition ici), sur laquelle des députés français travaillent fait davantage de bruit que celle du
journaliste Guy-André Kieffer. Et, au Burkina-Faso, L’Observateur Paalga ne
manque pas de faire le rapprochement entre les deux affaires, notant que « Cette disparition
quasi mystérieuse ressemble bien à celle du journaliste franco- canadien
Guy-André Kieffer dans un supermarché d’Abidjan en 2004 ».
Guy-André Kieffer vivait dans le 20e arrondissement depuis
1980 avec son épouse Osange Silou-Kieffer. En 1986, au sein de
l’arrondissement, ils changeaient de quartier pour un appartement plus confortable, car allait naître leur fille
Canelle, qui aura vingt-quatre ans le mois prochain. D’une précédente union,
GAK avait eu un fils, Sébastien-Cédric, trente-cinq ans depuis une semaine. Il
a également deux frères dans le Rhône et dans l’Isère, et ses parents,
également dans l’Isère. Tous se souviennent que, le 23 août 2007, à peine élu, le président Sarkozy avait affirmé que cette
affaire était « une priorité pour la France ».
Fabien Abitbol
è Jeudi 15 avril, à 11 heures,
conférence de presse dans les locaux de Reporters sans frontières (47, rue
Vivienne, 75002 Paris) en présence des proches de Guy-André Kieffer.
è Vendredi 16 avril, à partir
de 19 heures, soirée de soutien au Musée Dapper (35, rue Paul-Valéry, 75116 Paris) :
projection du film Aliker (de Guy Deslauriers, lire ici la présentation de L’Humanité), puis rencontre avec RSF, Vérité pour
GAK sur la liberté de la presse et moment de poésies avec des comédiens
tri-continentaux et musique avec plusieurs groupes et chanteurs solidaires.
è En mars est sorti au Danemark
un documentaire intitulé The Dark Side of Chocolate (46 min., de Miki Mistrati et Roberto Romano, groupe
Facebook ici). Un sous-titrage en français est en cours, et une diffusion en Suisse est
déjà prévue.
Nous avions été surpris à l'époque devant le peu de réactions de la France après l'enlèvement de Kieffer et de retours dans les médias français.
Y aurait il entre la France et la Côte d'ivoire quelques arrangements entre "amis" qui feraient que la justice n'avance qu'au ralenti ?
On est en droit de se poser la question, surtout quand on voit le peu d'empressement de la France, ou de l'UE à arrêter de financer un pays qui n'est plus une démocratie depuis plus de 5 ans.
Les contrats du port, du 3e pont, Bolloré, bouygues, France télécom, que de colossaux intérêts en jeu....
Rédigé par : Dom | 15/04/2010 à 10h15
Pourquoi voulez vous vraiment impliquer l'Etat de Côte d'ivoire dans cette affaire. Vous dites quelquefois que c'est le Président Gbagbo qui a sollicité ce journaliste. Alors comment pouvez vous impliquer l'état de côte d'ivoire dans cette disparition. Vous orientez vos recherches dans une seule direction. C'est quand même bizarre. Et que dit le Canada ? Nous autres ivoiriens nous nous posons la question sur la motivation de certains français dans cette affaire. Et aussi l'intervention d'un opposant(allassane dramane).
Rédigé par : sio | 21/04/2010 à 10h41