Si la « délinquance générale » baisse, les violences et vols à main armée ont augmenté
Au cours d’une conférence de presse qu’elle donnera demain, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie va affiner les chiffres de la délinquance donnés mercredi par le président de la République lors de ses vœux aux acteurs de la sécurité à Orléans. Se basant sur les statistiques de l’Observatoire national de la délinquance (OND), elle doit annoncer une baisse globale de 0,86 % en 2008 par rapport à 2007, avec une augmentation des violences aux personnes et des vols à main armée ; explication : les règlements de compte ont explosé. Comme pour griller la politesse à sa ministre, Nicolas Sarkozy avait annoncé mercredi que la délinquance avait « baissé de près de 1 % en 2008 », « la délinquance de proximité de 6 % » et « les violences aux personnes, d'origine crapuleuse, de 5,4 % ».
Concernant précisément la « délinquance de proximité », Nicolas Sarkozy allait mercredi à l’encontre de ce phénomène « découvert » par Libération dans un secteur précis du 20e arrondissement et que le Nouvel observateur avait relevé en 2002, intitulé les « braquages de proximité ». Une spécialité de Ménilmontant, selon Libération. Voire… Il n'y eut en tout cas personne pour mettre en contradiction les chiffres avancés par le président de la République et ceux du quotidien. De là à parler de manipulation.
Pour en revenir aux choses plus « sérieuses » (ou plus globales) les statistiques diffusées demain doivent être commentées par le président de l’OND, Alain Bauer (celui-là même qui avait « découvert » en décembre que nous étions plus fichés que nous le pensions), et par la ministre de l'Intérieur.
3 558 329 crimes et délits ont été constatés par l'ensemble des services de police et de gendarmerie en 2008, contre 3 589 293 en 2007, lorsque la baisse de la délinquance générale avait atteint 3,66 %. En 2007 (est-il besoin de le rappeler ?) M. Sarkozy avait été — moins de trois mois — ministre de l’Intérieur et avait mené une campagne plutôt « sécuritaire ». On se souvient de mots comme « racaille » (lire ici l’analyse de Stéphane Beaud et Michel Pialoux pour Le portail français des Sciences sociales) ou de marques commerciales comme « Karcher ». S’ils remontent à 2005, période où M. Sarkozy était, pour la seconde fois du second mandat de Jacques Chirac, à l'Intérieur, ils n’en restaient pas moins dans les esprits des électeurs.
Or, selon l’OND, les violences aux personnes, qui avaient légèrement baissé en 2007 (- 0,21 %) augmentent carrément de 2,40 % en 2008. Et, dans le même temps, les vols à main armée ont augmenté de 15,40 %.
Pour leur part, les règlements de comptes (dont il devrait être annoncé qu’ils ont lieu « dans le milieu », comme si cela peut rassurer la personne qui aurait la conscience tranquille…), sont passés de 58 en 2007 à 126 en 2008 (+ 117,24 %).
La délinquance en col blanc (pudiquement appelée dans les statistiques « infractions économiques et financières ») est en hausse de plus de dix pour cent, représentant environ 400 000 infractions et délits.
1 600 dénonciations en une semaine, 600 faits avérés, selon le ministère
Le 6 janvier, Michèle Alliot-Marie a lancé un plan pour lutter contre les escroqueries, via Internet. Ce plan, qui a permis selon le ministère de « révéler 600 faits en une semaine », est diversement apprécié. Car il est possible d'y signaler autre chose qu'une escroquerie. Certains y voient un système de « délation », d’autres estiment qu’on « les prend pour des gogos ». Il est clair que, en allant sur la page matraquée par les encarts gouvernementaux (Internet Signalement Point Gouv Point Ephère), des relents nauséabonds prennent à la gorge. On peut signaler (ou dénoncer) presque tout et n’importe quoi. En gros tout ce qui ne nécessite pas stricto sensu un déplacement. Une plainte pour diffamation, par exemple, n’est pas recevable par ce biais : il s’agit en réalité d’une pré-plainte, comme elle est présentement déjà (depuis octobre) en phase de test dans deux départements. Or les délais impartis (trois mois, dans le cas d'espèce) risquent de courir vite et ainsi d’être prescrits…
Le lancement du plan ministériel avait été appuyé par la mise à disposition d’un dépliant (trois millions d’exemplaires !) et… par la diffusions de vidéos (voir ICI et LA), où les commentaires sont « désactivés » tant les clips sont ridicules. Et prennent le Français moyen pour un imbécile (pour rester poli, on n’est pas au Salon de l’Agriculture !).
Que l’on apprécie ou pas le style MAM, il n’en reste pas moins que les chiffres donnés mercredi dernier par le ministère de l’Intérieur et relayés par Le Parisien, (200 appels téléphoniques par jour, 65 711 connexions Internet en une semaine, qui ont « abouti à 1 613 signalements, dont 600 se sont révélés, après enquête, correspondre à une escroquerie ») font froid dans le dos. Un ratio plus proche de un tiers que de la moitié dans la véracité (selon la police) des faits signalés. Serions-nous entrés, en une semaine seulement, dans le tout sécuritaire Internet, alors que la moitié des foyers seulement sont équipés d’une connexion en France ?
Au sujet de la libération de Yldune Lévy (malgré l’avis du parquet) et du maintien en détention de son ami Julien Coupat, le député de l’Isère (PS) André Vallini, ancien président de la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau, avait estimé que la justice oublie « les leçons d’Outreau ». Le Syndicat de la magistrature (SM), lui, a mis en cause Michèle Alliot-Marie. Pour François Hollande aussi, le gouvernement invente des terroristes.
Et, dans le cadre de cette dérive sécuritaire, Olivier Besancenot, convoqué mardi au commissariat de Nanterre, a rappelé ce midi sur Canal + qu’il l’était avec « deux collègues », dont il a cité les noms. Ce qu’il n’a pas dit, c’est que l’un d’eux a récemment fait l'objet d'une dénonciation anonyme l'impliquant dans l'affaire des bâtons de dynamite retrouvés le 16 décembre au Printemps-Haussmann.
Certains pourraient se demander si la ministre de l’Intérieur, qui dirige la formation Le Chêne, dont l’espèce rustique européenne pédonculée supporte le froid extrême (-23°C) ne prendrait pas les Français pour autre chose que « des veaux », terme attribué au général de Gaulle dont elle se revendique. Mais pour les akènes de l’arbre en question.
Fabien Abitbol, photo Sipa
⇒ Baisse de la délinquance générale en 2008 (Reuters, 18 janvier)
⇒ Le communiqué du SM concernant l’Affaire de Tarnac (16 janvier)
Commentaires