Une usine choisie au hasard, dans le vingtième arrondissement, boulevard Davout : la Sopelem (Société d'optique de précision électronique et mécanique). Ses quelque cinq cents salariés sont en grève depuis neuf jours et occupent l'entreprise jour et nuit. Sans ostentation - il n'y a pas de piquet de grève devant la porte - et sans agressivité : il n'y a pas eu le moindre incident et l'ambiance est plus à la détermination froide qu’à la violence.
Il suffit de quelques questions pour se rendre compte que dans ce cas, ainsi que dans d'autres sans doute, la grève est conçue comme un mouvement de revendication sociale, et pas du tout comme une arme politique destinée à renverser le régime. C'est évidemment le point de vue des cégétistes, mais aussi des non-syndiqués, et ils sont nombreux. La violence des étudiants, ils l'attribuent à une minorité, ou ne la comprennent pas bien, ou encore la désavouent. « Avec des boulons, on n'obtiendra rien, dit l'un d'eux, tandis qu'avec la grève… » Cela dit, ils ont « ricané » quand ils ont eu connaissance du protocole d'accord auquel a abouti la négociation du week-end. On comprend alors que s'ils ne sont pas des « révolutionnaires », du moins sont-ils fermes sur les réformes qu'ils exigent, et qu'ils réclamaient depuis longtemps, en se heurtant, pour les plus anodines, au refus constant de la direction.
Comme d'autres, cette entreprise a des revendications propres, qui se recoupent avec les requêtes de la CGT à l'échelon national, ou les complètent : en l'occurrence, l'augmentation de 100 francs pour les salaires mensuels et de 0,60 francs pour les horaires ; le treizième mois (à la place de la « prime de dinde » octroyée a la fin de l'année) ; enfin une réorganisation des structures de l'entreprise, destinée, non pas à en détruire les bases, mais à l'« humaniser » (le mot revient souvent), à transformer la nature des relations internes (« Pour la première fois, nous avons eu une réunion commune entre ouvriers, employés et cadres ! »).
Les salariés de la Sopelem ne sont pas mobilisés pour le « grand chambardement ». Mais ils ne céderont pas tant que leur cahier de revendications n'aura pas été accepté, même si la grève dure longtemps. On les croit volontiers, en observant qu'ils ont calligraphié soigneusement sur la porte de l'entreprise : « Usine occupée », comme s'ils pensaient que l'inscription était appelée à durer…
P.H., pour Le Monde du 30 mai 1968
Note du ouaibemaître : la Sopelem est née de la fusion, en 1964, des Usines de Levallois-Perret (fondées en 1919 par Armand de Gramont) avec la Société d'optique et de mécanique de précision (SOM-Berthiot), bien connue des photographes « à l’ancienne ».
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