Un président du Sénat trop serviable ?
Le parquet de Paris a tranché. Christian Poncelet, sénateur UMP des Vosges et président du Sénat depuis 1998, devrait bientôt être entendu par la police judiciaire, à condition que le bureau du Sénat donne son autorisation. L'enquête préliminaire ouverte en juin 2007 pour soupçon de trafic d'influence, fondée sur des écoutes téléphoniques, redémarre donc.
Par ailleurs, le nom de M. Poncelet est cité dans une deuxième enquête, ordonnée en octobre 2007, toujours à Paris. Les enquêteurs s'interrogent sur l'organisation d'un déjeuner, le 22 février 2005, dans les salons privés du Petit Luxembourg, la résidence officielle du président du Sénat. Ce déjeuner réunissait, outre M. Poncelet, un entrepreneur, Didier Lorgeoux, un ancien sous-préfet, Roger Gonçalvès, et un acteur, Christophe Lambert. Un casting improbable.
« Chaque fois que je suis en instance de réélection, on vient me voir, on me reproche mon âge », lâche, agacé, Christian Poncelet, âgé de 80 ans. « Qu'on m'apporte les preuves de quoi que ce soit, je n'ai rien à me reprocher ! Mais, évidemment, Poncelet est parti de zéro, on ambitionne ma place, toutes ces affaires judiciaires ressortent systématiquement », bougonne-t-il, en expliquant que pour son éventuelle réélection, en septembre 2008, il ne sait pas « comment vont évoluer les choses ». En tout cas, il n'exclut pas du tout une nouvelle candidature. Il lui faudra probablement, auparavant, répondre aux questions de la police judiciaire.
Et tout d'abord à propos des écoutes téléphoniques, récemment versées au dossier de la première enquête après avoir été retranscrites par un expert. On y entend Christian Poncelet converser avec son ami Jean-Claude Bartoldi, placé sur écoutes parce qu'il est poursuivi dans des affaires d'abus de bien sociaux. C'est un entrepreneur de travaux publics, en cheville avec la société Sogea. Entre M. Poncelet et lui, il est question de la construction de la gendarmerie d'Issy-les-Moulineaux, un marché que convoitent les sociétés Eiffage et Sogea.
Le 14 décembre 2006, M. Poncelet avise son interlocuteur que « pour l'affaire de la gendarmerie, il a vu, les choses repartent à zéro ». Trois quarts d'heure plus tard, il rappelle M. Bertoldi, en lui expliquant que lors d'une réunion portant sur ce marché, il aurait conseillé « d'arranger les choses à l'amiable, de réunir à nouveau le jury ». Et il recommande à M. Bertoldi de « garder secret le fait qu'il l'a informé des problèmes ». Il lui demande « le silence, sinon c'est la rupture totale ».
« Je défie quiconque de prouver que j’ai touché de l’argent »
Le 18 janvier 2007, les deux hommes déjeunent au restaurant parisien Marius et Jeannette, filés par un enquêteur. Suivent plusieurs autres conversations, où sont évoqués des projets en Roumanie, en Iran, en Azerbaïdjan, mais aussi en France, dans les Vosges, département dont M. Poncelet préside le conseil général.
Le 8 février 2007, une autre conversation est enregistrée, dans laquelle M. Bertoldi explique que « le petit Poncelet a pris 10 % de 80 000 euros grâce à lui ». Interrogé par les policiers le 14 mars, l'homme d'affaires explique que Sogea souhaitait obtenir un chantier dans les Vosges, et qu'en cas de succès il avait été convenu de verser 8 000 euros au président du Sénat.
Le lendemain, pourtant, M. Bertoldi se rétracte, assure que ses relations avec M. Poncelet sont purement « amicales », et que si ce dernier a bien « essayé » de lui rendre service, il n'avait jamais été question d'argent. Ce que confirme bien volontiers le sénateur. « M. Bertoldi voulait des informations, soutient l'élu, je lui ai dit que je pouvais lui prendre des rendez-vous, je n'ai jamais été lié à une quelconque négociation. J'ai peut-être commis des erreurs, mais je défie quiconque de prouver que j'ai touché de l'argent. Tout ceci n'est que rumeurs, ragots… »
Reste que les relations de M. Poncelet n'hésitent pas à faire état de leur proximité avec le président du Sénat quand ils discutent affaires. Comme en témoigne le deuxième dossier, dans lequel les policiers, là aussi, aimeraient mieux comprendre le comportement de l'élu. Un industriel, Didier Lorgeoux, a déposé une plainte pour tentative d'escroquerie, en juillet 2007.
Associé à l'acteur Christophe Lambert, il cherchait, en 2004, de nouveaux bâtiments pour loger sa société, DPDJ, spécialisée dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. On le met en contact avec Roger Gonçalvès, alors sous-préfet, détaché au ministère de la défense. « On m'a promis des aides d'Etat, assure M. Lorgeoux, j'ai été reçu plusieurs fois au ministère. M. Gonçalvès, qui parlait de M. Poncelet comme de son parrain , me poussait à m'installer dans les Vosges. Et il y a eu ce déjeuner du 22 février 2005, au Sénat. »
Ce jour-là, les intéressés se retrouvent attablés autour de Christian Poncelet. « Il a été souligné qu'il serait de bon ton de s'installer dans son fief des Vosges, se rappelle Christophe Lambert, il y avait quelque chose d'extrêmement insistant, des avantages pour M. Poncelet qu'on ne connaissait pas. On nous a fait miroiter des choses, tout s'est révélé faux… »
M. Poncelet, pour sa part, ne se souvient plus de ce déjeuner. « Christophe… qui ? », interroge-t-il à propos de l'interprète d'Highlander. Ce déjeuner a pourtant eu lieu, les services du Sénat le confirment. Et rien ne s'est ensuite déroulé comme il le fallait pour l'entreprise DPDJ, qui, selon ses dirigeants, a failli mettre la clé sous la porte.
« J'estime avoir été victime d'une escroquerie », déclare M. Lorgeoux, qui a été condamné en première instance au tribunal de commerce à verser 260 000 euros à un architecte : « Il m'avait été recommandé par M. Gonçalvès pour la construction de nouveaux bâtiments, je lui ai versé initialement 50 000 euros. Mais les aides promises ne sont jamais arrivées, et l'architecte m'a même confié que l'argent versé avait été partagé avec M. Gonçalvès. » Une accusation réitérée sur procès-verbal.
M. Gonçalvès conteste cette version des faits. « Je n'avais aucun pouvoir d'implantation, je faisais juste de l'accompagnement, souligne-t-il. M. Lorgeoux peut raconter ce qu'il veut, c'est lui qui nous a fait travailler comme des idiots, pour rien. Et M. Poncelet, qui les a reçus à déjeuner, n'a rien à voir avec tout cela. Que les policiers viennent, je leur laisse ouverts mes dossiers… » Les enquêteurs ont l'intention de répondre à l'invitation.
Gérard Davet, pour Le Monde, photo : Sénat
⇒ Le président du Sénat devrait être entendu dans une enquête pour « trafic d'influence » (AFP)
⇒ Pots-de-vin pour le numéro 2 de l'Etat ?, 8 juin 2007, sur Plume de presse
⇒ Christian Poncelet au scanner, dans l’Express/Régions du 20 octobre 2005
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