Malgré les promesses présidentielles, l’enquête sur la disparition de Guy-André Kieffer piétine
L’espoir aura été de courte durée. Le 23 août, Nicolas Sarkozy avait reçu à l’Elysée la famille de Guy-André Kieffer, le journaliste franco-canadien enlevé le 16 avril 2004, en plein centre d’Abidjan et jamais retrouvé depuis. Rompant avec l’immobilisme de son prédécesseur, le chef de l’Etat avait alors promis qu’il mobiliserait toutes les énergies disponibles pour établir la vérité sur la disparition de Guy-André Kieffer, dit « GAK ». Mieux, il affirmait que la normalisation des relations entre Paris et Abidjan passerait par la coopération des autorités ivoiriennes dans cette affaire très sensible. L’enquête confiée au juge Patrick Ramaël s’est en effet focalisée au fil des mois sur des proches du président ivoirien, Laurent Gbagbo (lire ci-dessous).
Mais ces bonnes résolutions ont fait long feu. Juste avant de quitter la France, début décembre, pour une mission de dix jours en Côte-d’Ivoire, le magistrat a eu la désagréable surprise d’apprendre, de la bouche du patron de la brigade criminelle, qu’aucun policier ne serait disponible pour l’accompagner. Sans justification. « C’est d’autant plus regrettable que ce service avait mené l’enquête depuis le début et disposait de contacts sérieux sur place », déplore Bernard Kieffer, frère de GAK. Prenant acte de ce refus, le magistrat a aussitôt dessaisi la criminelle pour se tourner vers les enquêteurs de la gendarmerie.
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A l'issue des trois ans de la disparition de son mari, Osange Silou-Kieffer (à droite) a entamé une campagne de mobilisation, pour attirer l'attention du futur président de la République.
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Mais le juge Ramaël n’était pas au bout de ses peines. De source proche de l’enquête, on note que l’accueil réservé par l’ambassade de France à Abidjan a été plutôt frais. Le juge a quasiment dû s’imposer au sein de la résidence, qui jouxte celle du président Gbagbo, pour être logé en toute sécurité dans la capitale économique. Là encore, Sarkozy avait pourtant promis à la famille Kieffer la mobilisation tous azimuts des services diplomatiques au service de l’enquête. Le 21 novembre, Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, avait même pris la peine d’écrire un courrier pour donner des garanties en ce sens aux proches de GAK…
« C’est un contre-signal très négatif », note Bernard Kieffer, dont les demandes d’explication auprès de l’Elysée sur ce revirement des autorités françaises sont restées, pour l’heure, sans suite. Le frère du journaliste craint, non sans raison, que le pouvoir d’Abidjan ne se sente encouragé dans l’attitude qui est la sienne depuis le début de cette affaire : l’obstruction. Lors de sa mission à Abidjan, du 2 au 12 décembre, le juge français s’est ainsi heurté au manque total de coopération des autorités locales. Sur la petite dizaine de personnes qu’il comptait entendre, Patrick Ramaël n’a pu interroger que deux militaires, membres présumés du commando qui a enlevé Guy-André Kieffer. Censé lui fournir son aide, au terme d’un accord de coopération judiciaire entre les deux pays, le procureur ivoirien Ange Kessy était aux abonnés absents.
Ce nouveau coup d’arrêt dans l’enquête sur la disparition de GAK intervient au moment précis où le processus de rapprochement entre Paris et Abidjan prend corps. Début décembre, pour la première fois depuis les émeutes antifrançaises de novembre 2004, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, s’est rendu en Côte-d’Ivoire, où il a rencontré Laurent Gbagbo. Le mois prochain, c’est Bernard Kouchner qui pourrait lui succéder sur les bords de la lagune Ebrié. Enfin, pour la première fois depuis son élection, Nicolas Sarkozy a eu un court entretien avec son homologue ivoirien lors du sommet Afrique-Union européenne de Lisbonne, la semaine dernière. Toutefois, le chef de l’Etat français a répété qu’il attendait des gages sur l’organisation d’élections propres dans le pays avant d’envisager d’aller plus loin.
Coup d’éclat
Autre hypothèse : Nicolas Sarkozy aurait très modérément apprécié le coup d’éclat du juge Ramaël, qui instruit également l’affaire de la disparition de l’opposant marocain Ben Barka. Fin octobre, en pleine visite à Rabat du président français, on apprenait que le magistrat avait lancé plusieurs mandats d’arrêt contre des proches du Palais. « Nous sommes habitués aux blocages côté ivoirien, résume Bernard Kieffer. Mais l’attitude de la France nous laisse en plein désarroi. »
Thomas Hofnung, pour Libération
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Un journaliste qui dérangeait
Qui a enlevé et, probablement, tué Guy-André Kieffer ? Spécialiste des matières premières, ce journaliste dérangeait du monde à Abidjan en dénonçant la corruption, notamment les malversations dans la filière cacao, première ressource du pays. Au moment de son enlèvement, GAK avait rendez-vous avec Michel Legré, beau-frère de Simone Gbagbo (femme du président). Entendu par le juge Ramaël, Legré a mis en cause des personnalités proches du pouvoir, en particulier l’entourage de l’ex-ministre de l’Economie, Paul-Antoine Bohoun-Bouabré. Sur les cinq militaires du commando soupçonné d’avoir enlevé GAK, seul son chef présumé, Jean-Tony Oulaï, est actuellement détenu en France.
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A lire :
⇒ L’enquête bloquée (avec son).
⇒ La famille de Guy-André Kieffer se sent « lâchée » par la France.
⇒ Paris soutient le juge, selon Rachida Dati.
A visionner :
⇒ Une vidéo sur une musique de RAF (montage de Canelle Kieffer).
⇒ La sortie de l’Elysée, le 23 août (réactions de Osange Silou-Kieffer et de Bernard Kieffer).
⇒ Le décryptage du reportage de France 3 (par son auteur Jean Tual, grand reporter) et une partie de l’intervention de Bernard Kieffer en plateau du Soir 3.
Pour mémoire, Le blogue de soutien à Guy-André Kieffer est ici, le site d’informations de la famille est là.
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