Une mère et ses enfants sont ainsi, en 2007, dans le 20e…
Après son expulsion d’un logement insalubre, Ahou Kouakou a refusé de se laisser guider vers les hôtels sociaux.
Un grand hall d’une centaine de mètres carrés où sont garés une vingtaine de véhicules, l’odeur nauséabonde qui y règne serre le cœur… C’est là, au deuxième sous-sol de ce parking du 20e arrondissement, que vivent depuis presque six mois Ahou Édith Kouakou et ses quatre enfants, Marc, Guehassa, Yann et Maël, âgés de 15 mois à 11 ans. Sous une couverture et le plus souvent entre deux voitures pour être à l’abri des regards. Il est 9 heures. Son sac à l’épaule et la poussette entre les mains, les seuls objets qu’il lui reste, elle s’apprête à aller à la préfecture pour exiger une énième fois une solution de relogement…
Cette Ivoirienne de trente ans, auxiliaire de vie, ne compte plus les démarches entamées depuis le 12 juillet, jour où elle a été expulsée - pour la seconde fois - de son studio du 46, rue de la Mare (Paris 20e). « La propriétaire ne voulait pas nous louer l’appartement car il n’était pas aux normes. Du coup, elle a lancé une procédure d’expulsion. » Avant de vivre dans ce logement insalubre de 22 mètres carrés, elle a vécu quatre ans ballottée d’hôtel en hôtel à Paris et en banlieue parisienne. Plus question pour elle d’y retourner : « Je gagne 2 268 euros net par mois. Je paie mes impôts. Mes enfants sont nés et scolarisés ici. Je suis inscrite sur les listes de logement social depuis le 16 juin 2006. Je remplis tous les critères. Je ne veux plus vivre à l’hôtel et dépendre des autres. Je ne fais pas l’aumône : au contraire, je suis prête à payer un loyer ! Mais "mon cas n’est pas prioritaire". Si, avec quatre enfants, dont un bébé, je ne suis pas dans une situation d’urgence… »
Des associations d’aide aux mal-logés aux travailleurs sociaux, en passant par la mairie, la réponse qu’on lui fait est sensiblement la même : attendre. Suite à sa première expulsion le 16 juin, elle avait reçu l’appui des parents d’élèves de la FCPE, mais leurs efforts n’avaient pas abouti. La situation d’Ahou est pourtant connue depuis longtemps des autorités. « Ça fait six mois qu’ils savent que je suis à la rue et six mois que je multiplie les démarches… en vain. L’assistante sociale me répète que je ne frappe pas aux bonnes portes. Mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse de plus ? J’ai pris deux jours de congé pour poursuivre mes démarches. Je ne peux pas m’absenter plus, car je m’occupe d’une femme de 94 ans qui n’est pas autonome. Je commence à me décourager. » Les larmes aux yeux, elle explique qu’elle garde le moral pour ses enfants, qu’elle « fait ça pour eux ». « Faut-il cramer dans un incendie pour espérer avoir un toit ? Faut-il que je change de couleur de peau pour qu’on s’intéresse à mon cas ? » Son histoire invraisemblable, elle veut la raconter pour montrer que « ce n’est pas du chiqué ». Battante, Ahou ne lâchera pas le morceau : « J’ai le droit de mon côté. » Et le droit, elle le connaît : « Depuis le 5 mars 2007, il existe le droit au logement opposable, une loi qui exige de trouver aux individus une solution décente de relogement. » Mais entre la théorie et la pratique… Il est 11 h 15 : elle presse le pas pour rejoindre le métro. Direction : la préfecture, une fois encore… et sans doute pas la dernière.
Marion Lafond, L’Humanité du 20 juillet 2007
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