Nicolas Sarkozy n’est pas élu président de la République…
Dans un communiqué publié sur son site hier dimanche 6 mai à 20h39, le Premier ministre, davantage versé dans la poésie et le lyrisme que dans le droit constitutionnel (ce qui n’est pas interdit… pour l’instant), titre « Présidentielle 2007 : Nicolas Sarkozy est élu président de la République ». Ainsi, dans lyrisme habituel, il emploie le même vocabulaire que mes confrères de la télévision (publique et privée). Les mêmes abus de langage. Sauf qu’il écrit « estimations » et non « résultats ». Fait-on une élection sur des estimations ? Et, ce matin, Alain Juppé appelle à une plus large union…
Tout en diffusant des « estimations » de CSA, TNS Sofres, Ipsos et Ifop, M. Dominique Galouzeau de Villepin indique que « Nicolas Sarkozy a été élu président de la République pour cinq ans avec, selon les premières estimations, environ 53 % des voix. » et que le taux de participation est « environ de 85 % ». Il ajoute que « Nicolas Sarkozy devient le sixième président élu au suffrage universel direct sous la Ve République, après Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. ».
Dont acte.
Dans mon sujet publié hier avec une trentaine de minutes d’avance sur le Premier ministre, j’écrivais au conditionnel que l’ancien ministre de l’Intérieur « pourrait dépasser les 53 % » et que, « selon une estimation du ministère de l’Intérieur, le candidat de l’UMP aurait obtenu 53,5 % des voix » (lire ici).
Certes, dans la précipitation, j’avais omis de parler en suffrages exprimés…
Certes, comme il était à peine 20h08 lors de la publication, je n’avais qu’une source, a priori digne de foi, en tous cas à ce moment-là plus précise que les quatre instituts de sondage que citait le Premier ministre. Ce que j’avais fait n’était donc pas parfait (« journalistiquement parlant », puisqu’il est préférable d’avoir trois sources qu’une seule).
En attendant les données corrigées
Comme partout, dans une élection il y a des « données corrigées ». On se demande bien pourquoi, et comment, des chiffres concernant la délinquance ont été publiés deux jours avant le second tour ! Des chiffres sur quatre mois (et non sur un mois, trois mois ou un an) et se référant aux quatre premiers mois de 2002 (la fin du septennat de M. Jacques Chirac…). A cette heure là, à quelques heures de la clôture de la campagne, cette manœuvre était imparable. De l'inédit. Très fort… Mais ces chiffres (outre le caractère singulier de la date de leur publication) sont-ils fiables ? Ont-il influé sur la sincérité du scrutin ?
Dans la soirée, et dans la nuit, les chiffres (pas ceux de la délinquance, puisqu'il n'y a eu officiellement que 364 voitures brûlées) ont varié, descendant même bien en dessous des 53 % du Premier ministre. Hier encore, le ministre de l’Intérieur était M. François Baroin, un ancien journaliste du service politique d’Europe 1. Un Chiraquien « sarkocompatible », comme on dit… Hier soir, il était écrit sur le site du ministère de l’Intérieur « A 20h45, les résultats partiels du second tour accordent à Mr Nicolas Sarkozy 53,69 % des voix ». Mr, pas M. ! L’Atlantiste félicité par téléphone par MM. Bush et Blair se fait déjà appeler à l’anglaise, alors que la langue française est obligatoire dans les diverses institutions de la République. Apparemment, les anglicismes perdurent dans certains ministères.
Ce matin, le site du ministère de l’Intérieur donne 53,06 % à M. Nicolas Sarkozy (et 83,4 % de votants), alors que hier vers 23h00 encore il ne donnait absolument pas de résultats « France entière »… Et pour cause : les dépouillements, à Paris par exemple, ont fini après 22 heures ! Une fois de plus, les services du Premier ministre devancent ceux du ministre de l’Intérieur, plus à même de donner des chiffres.
Et encore faut-il que le Conseil constitutionnel proclame les résultats. Ce matin à 9h00, il précisait que ces chiffres bruts « ne tiennent évidemment pas compte des corrections qui seront ultérieurement apportées :
• au niveau du département (ou collectivité assimilée) par les commissions locales de recensement ;
• au niveau national par le Conseil constitutionnel ».
Il est donc nécessaire d’attendre les trois jours d’après le vote pour se permettre de dire que M. Sarkozy est « élu » président.
Pour l’instant, et ce me semble pour le moins logique, les chiffres de M. Villepin semblent plus proches de la réalité que les miens, qui (je radote) étaient diffusés plus tôt. Mais ma prudence de langage m’a fait titrer : « Nicolas Sarkozy en route vers la présidence … en attendant les résultats des « grandes villes » et des Français de l’Etranger, et la proclamation par le Conseil constitutionnel ».
Rappelons que, à l’issue du premier tour, les services du Premier ministre avaient annoncé le dimanche à 20h37 : « Le second tour opposera Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal », alors que le Conseil constitutionnel n’avait pas proclamé les résultats (ce qu’il fit, comme la Constitution et la raison l’exigent, trois jours après le scrutin, et sans tenir compte des recours en cours ou à venir. Rappelons que, au 26 avril, six communes et un bureau avaient été invalidés. Cela ne changera pas le résultat de l’élection, mais seulement les chiffres définitifs.
M. Juppé appelle à l’ouverture
Cela ne changera rien au fait que, le 16 mai, celui qui ne sera plus le président du plus grand parti politique de France prendra les clefs de l’Elysée (et le code de l’arme nucléaire au passage).
Pendant ce temps, on sait d’ores et déjà qu’il ne sera pas aux côtés de l’actuel président pour la commémoration de la Victoire du 8 mai 1945. Mais on ne sait pas s’il sera le 10 mai au Jardin du Luxembourg à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, puisqu’il se dit qu’il veut prendre quelques jours de repos, avant (le 15 mai vraisemblablement) de quitter l’UMP.
Ce matin, sur France Inter, l’ancien Premier ministre Alain Juppé (l’un des premiers soutiens du futur président de la République) a estimé qu’il fallait « l'UMP avec d'autres ». « L'UMP n'a jamais été un parti unique. Elle a fourni un socle extrêmement solide, mais elle n'est pas seule », a-t-il ajouté. Pour dire également : « Dans la future majorité présidentielle, j'espère que nous aurons des centristes (...) et peut-être aussi des hommes et des femmes de gauche qui penseront aussi que le moment est venu de joindre nos efforts ». Après le premier tour, Alain Juppé avait déjà demandé à Nicolas Sarkozy de se rapprocher des centristes (et réciproquement). Il n’avait pas évoqué les « hommes et femmes de gauche ». Sera-t-il entendu par celui qui a filé la métaphore sportive au long de la campagne et qui – il y a quelques jours – voulait faire « la meilleure équipe de France » ?
Dans un sens, la logique de M. Juppé (ce fin stratège qui, avec MM. Villepin et Pilhan a poussé M. Jacques Chirac à dissoudre l'Assemblée nationale le 21 avril 1997 afin de donner à la France « un nouvel élan ») se tient. Descendant de hobereaux hongrois et de juifs de Salonique, né à Paris le 28 janvier 1955, Nicolas Sarkozy est le premier président français d'origine immigrée élu au suffrage universel direct. Il est peut être nettement élu, mais moins bien que Georges Pompidou en 1969 (58,21 %), Charles de Gaulle en 1965 (55,20 %) et François Mitterrand en 1988 (54,01 %)… ou Jacques Chirac en 2002 (82,21 % dans les circonstances que l'on sait). La gauche est peut-être affaiblie, mais Nicolas Sarkozy a ratissé large. Il ne s'en est pas caché.
Un autre fils d'immigré a voté, sans avoir la nationalité française, lui. Mais l'histoire ne dit pas pour qui Abdelkrim Fodil, du même âge que Nicolas Sarkozy, a voté…
L'homme qui prit la mairie de Neuilly-sur-Seine à l'âge de 28 ans (il y a obtenu hier 86,81 % des suffrages exprimés) a annoncé qu'il allait prendre quelques jours de repos, une retraite qu'il dit vouloir mettre à profit pour « habiter la fonction, prendre la mesure de la gravité des charges » auxquelles il pensait « pas seulement » en se rasant depuis de longues années. Contrairement à MM. Mitterrand ou Chirac, il aura été élu dès sa première présentation (ce qui eut été le cas de Mme Royal si elle était passée), et dit avoir besoin de « prendre la distance nécessaire » avec les tourments de la campagne.
Fabien Abitbol
Dessins © Placide
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