C'est la rupture. Dimanche soir, élu président de la République, Nicolas Sarkozy dîne au Fouquet's. Lundi soir, on apprend qu'il est arrivé à Malte et qu'il a choisi pour sa "retraite", avant d'entrer en fonctions, une croisière sur un yacht. Mardi, on saura que le Paloma est un luxueux navire appartenant à l'homme d'affaires Vincent Bolloré.
Nicolas Sarkozy n'élude pas les questions. « Je n'ai pas l'intention de me cacher, je n'ai pas l'intention de mentir, je n'ai pas l'intention de m'excuser », a déclaré le président élu, mercredi, à des journalistes qui l'ont interrogé alors qu'il faisait un jogging à Malte. Il avait évidemment été informé des commentaires suscités par son escapade méditerranéenne. Des responsables socialistes, tels que François Hollande et Vincent Peillon, mais aussi le trotskiste Olivier Besancenot et le centriste Jean-Louis Bourlanges ont émis des critiques contre ce que le premier secrétaire du PS a appelé « des vacances de milliardaire ».
Nicolas Sarkozy ne choisit pas ses mots au hasard. Quand il dit ne pas avoir l'intention de se « cacher » ou de « mentir », il fait allusion au comportement d'autres chefs d'Etat, très précisément à celui de Jacques Chirac. C'est l'hebdomadaire Paris Match qui avait révélé, en 2000, le lieu de villégiature préféré du président sortant à l'île Maurice, un palace à 21 972 francs (3 331 euros) par jour. Les présidents ont toujours fait en sorte que le public ne connaisse pas le montant de leurs dépenses de loisirs ou, plus généralement, leur train de vie. Nicolas Sarkozy, lui, affiche ses choix.
Il n'entend pas non plus, a-t-il dit, s'« excuser ». C'est le mot le plus révélateur de son propos. Le chef de l'Etat qu'ont choisi les Français ne fait pas mystère de ses habitudes ni de ses goûts. Refuser de s'excuser - ce qu'au demeurant personne ne lui a demandé - est conforme à cette droite désinhibée qu'il entend incarner. Aux yeux de cette droite, l'argent n'est pas une faute, la hiérarchie qu'il instaure n'est pas injuste.
Pour ne considérer que des présidents de droite de la Ve République - et en mettant à part l'austère Charles de Gaulle -, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac possédaient ou possèdent des patrimoines importants, notamment immobiliers. Seul président de gauche, François Mitterrand, sans doute moins riche qu'on ne l'a colporté, était aussi un propriétaire cossu. Tous veillaient à respecter une certaine discrétion. Nicolas Sarkozy, lui, a le luxe visible. Certains disent ostensible.
Mais la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si un président de la République peut recevoir des cadeaux aussi importants que ceux qu'il a acceptés de Vincent Bolloré : un voyage en jet privé, pour lui-même et sa famille, de Paris à Malte et retour, et un séjour sur un yacht somptueux, le tout évalué autour de 200 000 euros. L'industriel et son invité ont affirmé que le groupe Bolloré « n'a jamais eu de relation commerciale avec l'Etat français ». Ce n'est pas tout à fait exact, mais, surtout, cette précision est un aveu. Pareilles libéralités seraient donc inacceptables de la part d'autres amis du président élu comme Martin Bouygues, présent dans le secteur des travaux publics, ou Arnaud Lagardère, dans celui de l'aéronautique.
Tout aussi révélateur est le rappel, par Vincent Bolloré comme par Nicolas Sarkozy, que ce dernier n'est pas encore président de la République. Ce serait encore un homme privé, en faveur duquel un autre homme privé pourrait se montrer munificent sans que l'intérêt général ni la morale publique soient en cause.
Une défense si pauvre rend l'accusation inutile. A moins de comprendre que, quelque part au large de Malte, entre le 7 et le 9 mai, le futur président de la République a pris congé d'un certain Nicolas Sarkozy. Il est permis de rêver.
Patrick Jarreau* (Le Monde, daté du 12 mai 2007)
Dessin de Placide
*Rédacteur en chef, directeur adjoint de la rédaction et co-directeur de l’information du « Monde », Patrick Jarreau a intégré la rédaction en 1981. Il couvrait alors le Parti communiste, l’extrême gauche, les écologistes et les organisations juives. En 1985, il a été chargé de suivre le Premier ministre et les activités de l’Hôtel de Matignon pendant trois ans, avant de s’occuper du Parti socialiste à l’issue de la cohabitation.
Passé chef-adjoint du service politique en 1992, il avait en charge l’Elysée, jusqu’en 1995 où il s’occupa du service « France » (nouvelle formule, soit politique, économie, social). Nommé rédacteur en chef du service France en 1998, il a été correspondant permanent du « Monde » à Washington…
Au soir du 6 mai, Patrick Jarreau, commentant le résultat de l’élection présidentielle sur France-Inter avait estimé que « L'OPA de Sarkozy sur l'électorat d'extrême droite était réussie ».
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