L’ancien député gaulliste a passé sa vie à se battre pour les défavorisés.
L’ancien député Henri Grouès, plus connu depuis la Résistance sous le nom de l’Abbé Pierre, s’est éteint ce matin à l’aube à l’hôpital d’Instruction des Armées du Val-de-Grace, où il avait été admis le 14 janvier pour une bronchite qui semblait (depuis) en voie d’amélioration. Inlassablement, cet homme qui avait commencé à l’âge de 19 ans à rédiger son testament (la version finale, de 114 pages, a été remise en 1997), avait milité pour le droit au logement pour tous et, en janvier 2006, s’était rendu à l’Assemblée nationale lors de la remise en cause par l’UMP de la Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (Loi SRU du 13 décembre 2000). Il croyait en Dieu et voulait mourir jeune. Il avait eu 94 ans en août dernier. Avec hâte et patience, il attendait ce qu’il appelait ses « grandes vacances ».
Fondateur des compagnons d'Emmaüs, résistant et ancien député de Meurthe-et-Moselle (de 1945 à 1951, d’abord comme indépendant, puis comme apparenté MRP, puis MRP, l'Abbé Pierre a consacré sa vie aux déshérités. Né en août 1912 à Lyon d’une famille bourgeoise de la soierie, Henri Grouès a fait des études chez les Jésuites. A 19 ans, il entre chez les Capucins. Malade, il doit les quitter peu après son ordination le 24 août 1938…
Affecté au diocèse de Grenoble, l’Abbé Pierre devient vicaire de la basilique Saint-Joseph, aumônier d'un orphelinat, puis vicaire à la cathédrale de Grenoble. Henri Grouès a également un passé de résistant. Il entre dans la clandestinité en 1942, vient en aide aux Juifs (il en aurait fait passer en Suisse, d’où sans doute l’hommage appuyé qui lui est rendu depuis ce matin sur la Télévision suisse romande), aux réfractaires du STO et soutient les résistants du Vercors. C'est durant cette période qu'il adopte son surnom. A la Libération,l'Abbé Pierre se lance en politique. Il consacre alors ses indemnités parlementaires au financement des premières cités d'urgence.
En 1949, l'abbé Pierre fonde la communauté d'Emmaüs.Une initiative fondée sur une idée simple mais nouvelle : la revente d'objets récupérés. Emmaüs lutte aujourd'hui contre l'exclusion dans une cinquantaine de pays. Mais la postérité retiendra surtout son célèbre appel radiodiffusé pour « l'insurrection de la bonté » : l’appel lancé le 1er février 1954 au cours d’un terrible hiver, qui provoqua un immense élan de solidarité. Cet épisode célèbre de la vie de l’Abbé Pierre sera porté à l'écran par Denis Amar, en 1989 : Hiver 54, l’Abbé Pierre, sorti seulement il y a onze mois en DVD.
Inlassable sur le droit au logement
En 1994, quarante ans après son premier cri pour les sans-logis, l'abbé Pierre a lancé un nouvel appel pour défendre le droit au logement pour tous (il était reçu sur Antenne 2 au 20h de Bruno Masure). Tenace, il recommencera en 2004. Toujours sur le terrain, l'abbé a soutenu les occupations d'immeubles vides par les associations telles Droit au logement (DAL) ou par les expulsés de l’église Saint-Ambroise à Paris (1996), qui donna lieu aux premiers mouvements de sans-papiers. Tout au long de sa vie, l'infatigable Abbé Pierre ne désarmera jamais. A plus de quatre-vingt dix ans, il intervient dans la rue, à la télévision, ou encore à l'Assemblée nationale… Promu Grand officier de la Légion d'honneur en 1992, il refuse de porter l'insigne jusqu'en 2001, pour protester contre le refus du gouvernement d'alors d'attribuer des logements vides à des sans-abri. Le 19 avril 2001, il sera finalement décoré par le président Chirac, qui lui a très vite rendu hommage ce matin dans un communiqué d’une grande sobriété. En 2004, il est élevé à la dignité de Grand'croix.
En 1996, son soutien à l'écrivain révisionniste Roger Garaudy fait débat et ternit son image. Il est exclu de la LICRA (dont il était membre d’honneur) et le Cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger (entré l’année précédente à l’Académie française) lui demande de se retirer de la vie médiatique. L'Abbé Pierre retirera ses propos et s'en expliquera dans « Mémoire d'un croyant » (1997). L'Abbé Pierre est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Mon Dieu… pourquoi ? », où il révèle avoir eu des relations sexuelles par le passé.
L'appel de 1954
L'appel lancé par l'Abbé Pierre, le 1er février 1954, sur les ondes de Radio-Luxembourg, pour les sans-abri était devenu le symbole de son combat pour le droit au logement. Au point que, dans son édition du 11 janvier dernier, le « Nouvel Observateur » y consacrait un sujet, en liaison avec l’action des Enfants de Don Quichotte.
« Mes amis, au secours...Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée...
Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu.
Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots :
« TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPREND ESPOIR, ICI ON T’AIME »
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.
Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !
Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain :
• 5000 couvertures,
• 300 grandes tentes américaines,
• 200 poêles catalytiques.Déposez les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci ! »
A la suite de cet appel, le gouvernement avait élaboré en toute hâte un plan d'urgence pour la construction de 12 000 logements de première nécessité. Un reportage télévisé de 1954 se trouve ICI dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Le 31 janvier 1994, il avait été invité par Bruno Masure au journal de 20h d’Antenne 2 à l’occasion des quarante ans de son appel.
Fabien Abitbol
Photo © Le Nouvelliste(quotidien suisse du canton de Vaud)
En bref :
• Bernard Violet, biographe du fondateur d'Emmaüs, a précisé que l'abbé Pierre lui avait confié son testament, « un document de 114 pages, qu'il avait commencé à rédiger autour de 19 ans et dont il fera plusieurs moutures ». Le testament définitif date de 1997. Parmi les dispositions : « La promesse faite à un ami de remettre aux sapeurs-pompiers de Paris sa légendaire pélerine noire qu'un pompier lui avait donnée lors de la fameuse insurrection de la pauvreté de février 1954 », a expliqué Bernard Violet, avec qui la revue catholique traditionaliste « Objections » n’a pas été tendre lors de la publication de son ouvrage sur l’Abbé Pierre, sobrement intitulé Abbé Pierre (Fayard, octobre 2004).
• Lors de ses obsèques, l’Abbé Pierre a également souhaité, a indiqué Bernard Violet ce matin aux informations de 8h d’Europe 1 que le cortège qui l’accompagnerait jusqu’à sa dernière demeure entonne le Chant des Adieux, du Père Jacques Sevin, fondateur du scoutisme catholique en France.
• Patrick Poivre d’Arvor a annoncé ce matin sur Europe 1 qu’il présenterait une édition spéciale sur TF1 à 13h50 consacrée à cet homme qu’il considère déjà comme un « saint » (« un saint laïc », a-t-il bafouillé avant de se reprendre). Ce à la place des sempiternels « Feux de l’Amour ».
• Des réactions à la disparition de l’Abbé Pierre sont disponibles sur le site de LCI.
• « La lutte de l’Abbé Pierre continue à travers le monde » est le titre du communiqué de Emmaüs international.
• Le communiqué de Emmaüs France est ICI.
• Le communiqué de la Fondation Abbé Pierre est LA.
• La loi sur l’opposabilité du droit au logement pourrait porter le nom de Loi Abbé Pierre (c’est du moins le souhait du ministre de la Cohésion sociale, M. Jean-Louis Borloo), comme on parle de l’« Amendement Coluche » pour les dons à un certain type d’associations caritatives.
• Une critique de « Je voulais être marin, missionnaire ou brigand » (Carnets intimes et pensées choisies) publiée dans « Le Parisien » du 5 août 2002 rappelle les mots de l’ecclésiastiques à l’endroit de Coluche. « Quand il est venu me voir, le 25 mars 1986, j’ai découvert le mystère de l’homme sous le masque (…) avec son paquet de défauts, de péchés et de qualités, c’était l’homme du courage, de la vérité. » et ajoute que, trois mois après, l’abbé Pierre célèbrera les obsèques de Coluche. On peut retrouver la critique de Philippe Baverel ICI.
• L’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing souhaite des obsèques nationales.
• L’Abbé Pierre devrait être inhumé dans l’intimité en Normandie.
• La fiche de l’Abbé Pierre sur Wikipédia est ICI.
• Dans sa version en ligne « La Croix » a publié un dossier. Le sujet principal est LA.
• L’agence suisse Schweizerische Teletext AG (agence de télétexte suisse) rapporte que la vigne à Farinet, propriété de l'abbé Pierre de 1994 à 1998, a été crêpée de noir et qu’une messe sera célébrée demain à Sion, dans le Valais suisse (VS). « Propriété de l'abbé Pierre de 94 à 98, la vigne à Farinet, actuellement parrainée par le Dalaï Lama et située à Saillon/VS, a été crêpée de noir lundi. Début janvier, l'abbé Pierre avait émis le souhait de la revoir une dernière fois avant de mourir. Bruno Bagnoud, patron d'Air Glaciers, devait aller le chercher à Paris en jet privé le 31 janvier. Les 2 hommes devaient survoler la vigne en hélicoptère. Tout était prêt, a précisé le président des "Amis de Farinet". "Il aimait beaucoup cette vigne", a encore affirmé Pascal Thurre. Une messe sera dite à la mémoire de l'ecclésiastique français mardi à Sion. (SWISS TXT) ». Le quotidien vaudois dont le siège est à Sion « Le Nouvelliste » se contente d’une brève pour annoncer le décès.
• Comme chaque année, la Fondation Abbé Pierre (dont le siège est dans le 19e arrondissement de Paris) doit présenter le 1er février son « Rapport Mal-logement 2007 » au Cirque d'Hiver (110 rue Amelot, 11e). Le communiqué de cette conférence de presse, diffusé juste avant Noël, indiquait :
« A quelques mois d'échéances électorales majeures, la présentation du Rapport mal-logement 2007 de la Fondation Abbé Pierre revêtira cette année une tonalité encore plus interpellative, compte tenu de l'aggravation des situations de pauvreté et de précarité et des tensions persistantes sur le front du logement.
Le Rapport mettra en évidence, à partir d'une analyse serrée des politiques publiques à l'œuvre depuis quelques années, le décalage entre le discours officiel sur l'augmentation de la production, il est vrai exceptionnelle depuis 2 ans, et le profil réel des bénéficiaires auxquels celle-ci correspond. Sur ce point, la juxtaposition de la pyramide des revenus et des catégories sociales réellement concernées par l'offre de logement parle d'elle-même : les classes moyennes sont dupées, et les classes populaires sont oubliées.
La dégradation des situations sur toute la chaîne a des effets dévastateurs pour les plus fragiles. On assiste ainsi depuis quelque temps à une prolifération de l'habitat improvisé dans tous les interstices des villes et des campagnes : abris de fortune, squats, voitures servant de refuge pour la nuit, bidonvilles, tentes dans les rues, chacun croise désormais ce type de situations choquantes qui ne surprennent plus que les touristes étrangers de passage.
Ce constat, appuyé par la reprise des indicateurs du mal-logement que constituent les difficultés d'accès, le manque de confort et l'insalubrité, les difficultés de maintien et l'impossible mobilité de ceux qui cherchent à quitter des quartiers trop stigmatisés, sert de fondement aux propositions que formule la Fondation pour enrayer une crise qu'elle qualifie d'historique.
Ces différents points seront développés lors de la matinée du 1er février. L'après-midi, les représentants des cinq grands partis en compétition pour les élections nationales seront invités à s'exprimer sur leur propre vision de la situation et sur les mesures qu'ils envisagent pour sortir de l'impasse. »
• Dans son édition de novembre 2006 « La lettre d’Emmaüs France » titrait « L’EXCLUSION ET LA PRISON AU CŒUR DE LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE ? »…
• La biographie et la bibliographie de l’Abbé Pierre sur le site de sa fondation (l’épisode Garaudy n’y est pas évoqué).
• Pour un hommage animé et en image, cliquer sur la flèche ci-dessous.
(source : Images de Marc)
• La misère existe de plus en plus en France. Outre les SDF, les bébés pauvres ont eu, le jour du décès de l'Abbé Pierre, un Resto du Cœur, à Asnières, dans le département présidé par M. Nicolas Sarközy…
Les commentaires récents