Le 36 de la rue Botzaris est occupé depuis le 31 mai. Dix jours déjà. Par des «Tunisiens de Lampedusa», dont une poignée de dix-sept à l’origine, rapidement devenus quarante-et-un. Ce bâtiment, officiellement dénommé Centre culturel tunisien entre autres dans l’annuaire de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI), abritait de nombreuses activités.
Depuis avant mon arrivée à Ménilmontant fin 1996, je savais qu’il y avait, près des Buttes-Chaumont, un bâtiment aussi discret qu’important pour la Tunisie. Ce n’est que plus récemment, il y a un peu plus de dix ans, que j’ai localisé son entrée. En fait son entrée principale, car l'entrée secondaire, plus sensible politiquement, est ici. Cette localisation, je la dois à divers témoignages recueillis auprès d’opposants au régime. De “vrais” opposants, de bien, bien, bien avant décembre 2010.
Au hasard de mes recherches sur l’ancienne formule (http://www.tunisitri.net/) du site Internet de l’ITRI, un texte de Fausto Giudice m’a interpellé. A l’occasion des dix ans de régime benaliste, 202 personnes avaient signé au 9 avril 1997 en Tunisie un appel demandant l'instauration de la démocratie. Alors que la collecte des signatures continuait, un rassemblement s’organisait, à Paris, symboliquement au 36, rue de Botzaris.
Pour les plus jeunes, a fortiori ceux qui arrivent de la Tunisie depuis quelques mois, ces choses-là sont inconnues. Pour les Parisiens de fraîche date ou ne résidant pas à proximité des Buttes-Chaumont, pareil. Mais combien d’autres savaient et n’ont pas prêté attention, ou rapidement réagi? Combien d’autres, moi y compris?
Dans son texte intitulé La peur change de camp, que j’avais mis en lien hypertexte cliquable dans mon sujet annonçant l’occupation —espérant par-là attirer l’attention de quelques confrères— Fausto Giudice écrivait :
Pourquoi ici?
Nous sommes rassemblés face au 36 rue Botzaris. A cette adresse, devant vous, se dresse une forteresse bien protégée par un haut mur et des grilles. Cette forteresse est à l'image du palais de Carthage où trône, retranché, le tyran tunisien, le général Zine El Abidine Ben Ali. Cette forteresse est à l'image du régime tunisien. Dans ces locaux, qui bénéficient d'un statut diplomatique, en tant qu'annexé de l'ambassade de Tunisie située rue Barbet de Jouy, se trouvent officiellement le "centre culturel" de l'ambassade et le Rassemblent des Tunisiens de France (RTF), l'amicale contrôlée par le régime. Officieusement, c'est le RCD, le parti de Ben Ali, qui siège ici. Et en réalité, cette forteresse est une des bases à partir desquelles le régime tunisien contrôle, réprime et agresse la communauté tunisienne en France. C'est d'ici que sont diffusés les ordres de Ben Ali, c'est ici que se concoctent des agressions, des campagnes d'intimidation et de calomnie contre des réfugiés tunisiens.
A notre avis, les activités illégales et louches qui se déroulent au "36" sont en contradiction flagrante avec son statut diplomatique. Le "36" dépend en effet plutôt du ministère de l'Intérieur tunisien que du ministère des Affaires étrangères. Ce lieu ressemble plus à un des nombreux lieux secrets de détention et de torture disséminés en Tunisie qu'à un "centre culturel". Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.
Dans son sujet publié hier sur Mediapart (à lire ici gratuitement), Mathieu Magnaudeix évoque un «bâtiment de sinistre réputation dans la communauté tunisienne de France».
C’est pourquoi, dès le début, j’ai décidé de passer le plus de temps possible à l’intérieur du 36. Une jeune camarade (@MsTeshi), de vingt ans ma cadette, y était 24h/24. Nous étions en relation quasi-permanente par SMS et par le réseau social Twitter.
Dans la cour intérieure, à droite de la voiture de droite, on distingue un soupirail. C'est la seule ouverture vers l'extérieur dont sont équipées les «caves de Botzaris». Photo: F. A.
Je cherchais ce que les opposants victimes de la répression tunisienne que j’avais pu rencontrer appelaient les «caves de Botzaris». En vain. Je passais pourtant quasiment dessus chaque jour. J’en avait même photographié l’unique soupirail, que l’on voit à la droite des voitures à l’immatriculation diplomatique garées pour des raisons qui m’échappent dans la cour du “36” alors que l’immeuble possède au moins deux boxes privés. Je n’avais pas compris,… jusqu’à la nuit de lundi à mardi où, y retournant vers 2 heures du matin avec @MsTeshi (qui avait décidé de quitter les lieux), j’ai enfin vu que ces caves n’étaient héélas pas une légende.
C’est ce récit d’une semaine de patience et de recherches, d’émotions aussi, que je souhaite mettre en ligne prochainement, avec des illustrations afin que chacun puisse se faire une idée.
Fabien Abitbol
Notes :
• Dans l’attente du récit de cette semaine, il est possible de lire sur Politikio ce qu’en pense un quasi-voisin des lieux…
• Ce qui concerne le 36 de la rue Botzaris est à suivre sur twitter en cliquant ici. On y trouve des infos en temps réel, des photos, des vidéos, etc…
décidemment le numéro 36 porte la poisse....
Rédigé par : miss P | 09/06/2011 à 20h52