Concert de soutien samedi à Lyon
Après la publication, le 24 septembre, dans Notre Voie, d’un long communiqué de l’avocat de Simone Gbagbo (mettant en cause Bernard Kieffer et relayé sans réserve par l’AFP Abidjan), une sordide partie de ping-pong se joue depuis quelques jours entre les parties ivoirienne et française, autour Guy-André Kieffer (GAK), disparu le 16 avril 2004 à Abidjan. L’avocat de l’épouse du président ivoirien joue presque le rôle du procureur, le procureur ivoirien affirme qu’on « ne cherche plus un homme mort », le frère de Guy-André Kieffer devrait prochainement être inculpé par la justice ivoirienne, et un concert de soutien a lieu samedi à Lyon, au 1996e jour de sa disparition…
Un réquisitoire de l’avocat de Simone Gbagbo
L’attaque, la semaine dernière, de l’avocat de Simone Gbagbo (ici dans son intégralité et là en version courte) est clairement accusatrice à l’endroit du juge d’instruction français Patrick Ramaël et de Bernard Kieffer, l’un des deux frères de Guy-André, partie civile. Pour simplifier, j’utilise uniquement le nom de Patrick Ramaël, car le juge Blot a remplacé la juge Ducos sur le dossier. Elle salit aussi la mémoire de GAK… mais cela, hélas, nous y sommes habitué depuis cinq ans. Cette déclaration de Me Rodrigue Djadjé, l’avocat ivoirien de Mme Simone Gbagbo, a été publiée dans Notre Voie, quotidien prenant ouvertement parti pour le Front populaire ivoirien (FPI), parti créé par les époux Gbagbo. Et nulle par ailleurs depuis le 24 septembre, selon mes recherches, sauf dans sa version courte par l’AFP. Il parle du « rôle partial des juges » (français), laisse entendre que GAK est peut-être en vie, et sert, une fois de plus, le « témoignage » d’une femme présentée comme une épouse officielle de GAK, décédée en 2004, parlant de « bigamie », pratique interdite en France, Guy-André étant marié à Osange depuis 1982… ce qu’elle a confirmé aux magistrats ivoiriens lors de leur première mission dans le 20earrondissement de Paris, en août dernier.
D’autre part, laisser entendre que Guy-André Kieffer pourrait être en vie — outre que c’est pour le moins inconvenant, surtout cinq ans après — relève a priori de l’absurde. En effet, si la justice française a ouvert une information pour « enlèvement et séquestration » (faits imprescriptibles en France), la justice ivoirienne n’a pas hésité à «inculper» (c’est le terme) l’un de ses ressortissants du chef d’«assassinat». Ce qui suppute un mort. Sans cadavre, comme le soulignait André Silver Konan dans Mille mystères autour d’un mort sans cadavre, un volumineux dossier récapitulatif des deux versants de l’Affaire Kieffer.
Le 24 septembre, l’avocat de Simone Gbagbo dénonçait aussi une « instruction à charge » de la part de Patrick Ramaël, faisait le point sur la mission ivoirienne qui a enquêté cet été à Paris, et annonçait que la deuxième mission, qui doit venir en octobre, inculpera trois personnes, dont Berté Seydou (le premier témoin) et Bernard Kieffer. Le premier, qui « vit paisiblement en France, à la charge du contribuable français », pour faux témoignage et diffamation, et le frère de GAK pour complicité de faux témoignage et subornation de témoin.
La réplique de Bernard Kieffer
Concernant la jeunesse de Guy-André Kieffer, sa vie en Côte d’Ivoire, sa prétendue épouse ganéhenne et la disparition de notre voisin, Bernard Kieffer a répondu voici une huitaine de jours à un confrère de la BBC, qui est présentement en train de rédiger un ouvrage sur la filière cacao. Ses explications sont à lire ici.
Pour Bernard Kieffer, « Le récent témoignage du militaire ivoirien Alain Gossé est venu conforter celui de Seydou Berté. D’autres témoignages accréditent également le déroulement des faits tels que Seydou Berté les a décrits et l’implication des personnes qu’il a citées ». Et le frère de GAK d’ajouter « Le témoignage de Seydou Berté, n’en déplaise à tous ceux qu’il incrimine, n’a pas été démenti par les faits objectifs, bien au contraire. Les investigations menées depuis ce témoignage sont venues conforter sa relation des faits. Il a été le témoin direct de certains évènements et a eu connaissance d’autres faits par l’intermédiaire de membres du commando que dirigeait Tony Oulaï : je ne vois pas en quoi cela ferait de lui un faux témoin. Je peux avoir eu connaissance de l’assassinat de Gandhi ou de Nasser sans y avoir assisté. »
Lors de cet entretien, réalisé le 25 septembre pour le blogue (en vue de la préparation d’un sujet avant le concert lyonnais), Bernard Kieffer évoquait aussi « le nombre effrayant de fausses pistes, de traquenards et autres chausse-trappes que l’on glissés sur leur parcours (et sur le nôtre également), le nombre de faux témoins qui ont été instrumentalisés pour les éloigner des vrais responsables » et estimait qu’« Il est de bon ton et de grande facilité, pour les auteurs d’actes criminels, de s’en prendre aux juges lorsque leurs investigations menacent ces auteurs ». «Le contenu du dossier d’instruction et sa qualité plaideront, le moment venu, pour les juges qui travaillent sur cette affaire depuis plus de cinq ans », concluait-il, rappelant au passage le passé professionnel reconnu de Guy-André, dénié (et dénigré) par l’avocat de Simone Gbagbo.
« Bernard
Kieffer ne s'alarme pas à l'idée d'une inculpation, qui lui interdirait
seulement de se rendre en Côte d'Ivoire si le besoin s'en faisait sentir dans
l'enquête », relevait LibéLyon le 29 septembre.
Les insinuations du procureur ivoirien
Mercredi 30 septembre, France 3 a de nouveau diffusé
un sujet autour du témoin de juillet, Alain Gossé, au cours de la tranche
nationale du 19/20. Qui a fait l’objet d’une dépêche de l’AFP Paris. On n’y apprenait pas grand-chose que l’on ne sache déjà
(à condition d’avoir regardé France 3 en juillet et d’avoir lu Notre Voie du 24
septembre ou l’AFP Abidjan qui avaient suivi), sauf la précision technique que
Alain Gossé avait été « sergent-chef », et non « major », comme
il avait été présenté en juillet, ce qui était formellement contesté par les
autorités ivoiriennes, qui indiquaient que ce grade n’existait pas. La copie
d’un titre d’identité, valable jusqu’en 2010, a été brièvement montrée à
l’antenne. Comme on peut le voir dans cette vidéo reprise sur France 24, Alain Gossé, né en août 1928, est détenteur d'une carte d'identité émise en Côte d'Ivoire en 2000 et mentionnant comme profession : MILITAIRE. Les autorités ivoiriennes, en juillet, l'avaient dit ressortissant du Burkina-Faso et subséquemment pas militaire ivoirien.
A moment de la diffusion
de ce reportage, à 19h37, une autre dépêche AFP arrivait d’Abidjan, mettant
en doute la mort de GAK. « On ne cherche plus un
homme mort, mais quelqu'un qui a été exfiltré de la Côte d'Ivoire et qui vit
actuellement », a notamment affirmé Raymond Tchimou, le procureur de
Abidjan-Plateau, qui dirige le volet ivoirien de l’enquête et qui avait
participé au début de la première mission ivoirienne à Paris. La concomitance
entre cette dépêche et la diffusion du sujet de France 3 n’était sans doute pas
fortuite, car cette diffusion était annoncée (ici depuis 18h13 par exemple). Mais le procureur Tchimou n’a pas réagi sur un autre point que la pièce d'identité, qui n’a pas été dit sur France 3 celui-là, mais qui figure dans la dépêche de l’AFP
Paris : « Alain Gossé est alors chargé d'acheter un
"plastique noir à Ivosep (pompes funèbres de la Côte d'Ivoire)", avant de les rejoindre en
fin d'après-midi. » Cette précision du dossier judiciaire français n’a pas
été démentie dans l’affirmation du fait que l’on recherche un homme « qui
vit actuellement ».
Ce jeudi matin, au cours
d’une conférence de presse, Me Jacques Gublin, avocat de Bernard Kieffer, a jugé « insupportable » cette « insinuation tendant à laisser penser que
Guy-André Kieffer puisse être vivant ». Pour Me Gublin,
« soit c'est la vérité et on veut voir ses preuves, soit la justice
ivoirienne n'a pas ces preuves et à ce moment-là ses déclarations ne sont pas
acceptables ». « J'ai l'impression que c'est le reflet d'un certain
affolement, que ça part dans tous les sens et qu'ils sont prêts à mettre en
avant n'importe quelle piste », a estimé Bernard Kieffer, interrogé par l’AFP.
Samedi
3 octobre à 20h30, à Lyon, à l’initiative de Bernard Kieffer et du Club de la
presse de Lyon, à lieu un concert de soutien. On approchera des deux mille
jours sans nouvelles de Guy-André Kieffer. Les 90 choristes de la
Chorale de Montanay « La montadour » et les 60 musiciens de l'orchestre de Lyon
interpréteront des œuvres de Puccini, Gounod et Schubert, dans le cadre de
l'abbaye d'Ainay… Les places sont en vente (15 €) dans le réseau Fnac et au
Club de la presse de Lyon. Lire ici les propos de Jacqueline Roze-Maurette et là ceux de Bernard Kieffer qui estime que
l’attitude des autorités françaises dans cette histoire sont « une
forme de neutralité bienveillante ».
Fabien Abitbol
è Dans la version française du site Internet de France 24 se trouve également un
entretien avec Bernard Kieffer, en date du premier octobre. Il réagit notamment aux propos du procureur Tchimou de la veille, mais pas au « réquisitoire » de Me Djadjé (l'un des avocats de Simone Gbagbo), publié le 24 septembre dans Notre Voie, sur lequel il n'est pas interrogé, et pour lequel il avait répondu au blogue en exclusivité.
è L’heure de vérité dans l’affaire Kieffer
(Vincent Hugueux, l’Express.fr, 1er octobre)
è La Côte d'Ivoire sème le doute sur la mort de Kieffer (Jérôme Bouin,
LeFigaro.fr, 1er octobre)
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