A la suite du décès de Chantal Sébire, retrouvée inanimée à son domicile quelques heures après une discussion téléphonique avec un journaliste de M6, ce au lendemain de multiples interventions de Jean-Luc Romero, France 3 bouscule sa grille de programmes ce soir.
Hier soir, France 3 a diffusé un communiqué indiquant que ce documentaire serait remplacé, à 23h20, par une émission d’environ 55 minutes présentée par Francis Letellier et qui « réunira des personnalités du monde politique, médical, législatif et des représentants de grands courants de réflexion sur la fin de vie ».
Sous le titre « Quelle loi pour une fin de vie ? », France 3 présente ainsi sur son site son émission spéciale :
Chantal Sébire, atteinte d'une esthesioneuroblastome, maladie orpheline et incurable se développant dans la cavité nasale et déformant cruellement le visage, s'est vu refuser, lundi 17 mars, par la justice, le droit de se faire prescrire un produit létal. Son décès, survenu le 20 mars, relance le débat concernant la loi sur l'euthanasie et l'accompagnement de fin de vie. Cette émission spéciale réunira des personnalités du monde politique, médical, législatif et des représentants de grands courants de réflexion sur la fin de vie.
Parallèlement, Le Monde a mis en ligne en fin de matinée ce texte de la psychologue à qui François Mitterrand avait, en 1986, confié une mission, Marie de Hennezel.
Accompagner et laisser mourir, par Marie de Hennezel
Il y a des choses qu'on ne peut pas laisser dire sans réagir : des contre-vérités sur la loi Leonetti et sur les réponses qu'apporte aujourd'hui une bonne médecine palliative aux situations les plus douloureuses et aux souffrances extrêmes des grands malades.
Pendant dix ans, en ma qualité de psychologue dans une équipe de soins palliatifs, j'ai été témoin de fins de vie extrêmement douloureuses, et de détresses aux limites du supportable. Nous avons accueilli des personnes souffrant d'une détérioration profonde du visage, à la suite de cancers de la sphère ORL. Des altérations tout aussi bouleversantes que celle dont souffrait Chantal Sébire. Ces personnes, pour la plupart, nous ont exprimé leur désir de mourir. Parce qu'elles étaient, comme Chantal, mangées par la douleur, et parce qu'elles ne supportaient plus d'imposer leurs souffrances à leur entourage.
Nous avons été confrontés à ces situations limites devant lesquelles on s'incline humblement. Nous avons éprouvé alors le sentiment qu'il peut être plus humain d'accéder au vœu de mourir de celui ou de celle qui n'en peut plus. Oui, cela nous est arrivé. Mais nous ne pouvions pas pour autant donner délibérément la mort à nos patients. Pas seulement parce que ce n'était pas légal. Parce que notre mission était d'être le plus créatif possible pour trouver des solutions aux situations les pires. Nous pratiquions alors le « laisser mourir » bien avant qu'il ne soit institué par la loi Leonetti. Nous endormions la personne, grâce à une sédation contrôlée, et nous encouragions les proches à l'accompagner dans une veille pleine de douceur.
Notre expérience nous autorisait à dire aux familles qu'elles pouvaient continuer à parler, à bercer, à témoigner cette ultime affection qui laisse ensuite le cœur apaisé. Car, même si cela n'est pas scientifiquement prouvé, trop d'exemples nous avaient convaincus que, même dans le coma, la personne perçoit la qualité affective des présences qui l'entourent, des gestes tendres prodigués et des mots d'adieu murmurés à son oreille.
Cette veille attentive pouvait durer quelques jours, mais jamais très longtemps, car on sait que les paroles d'amour dites au mourant l'aident à partir. Ce sont des paroles qui délivrent. Jamais les familles n'ont trouvé ce temps inutile ou absurde. Elles se relayaient au chevet de la personne en train de mourir, dans ce dernier rituel d'oblation qui donne du sens à ces derniers moments. Leur deuil ensuite était marqué par l'apaisement et un sentiment d'accomplissement.
Reconnaissance des proches
Ce dont je témoigne là n'a rien à voir avec l'acte de donner la mort. Même si la mort est au bout, il s'agit d'accompagner et de laisser mourir. Je sais bien que certains trouveront cette réponse hypocrite. Je crains qu'ils n'aient pas compris qu'en agissant ainsi nous permettions à une personne au bout de ses souffrances de partir doucement, et non pas violemment et brutalement, comme c'est le cas lorsqu'on injecte ou administre une potion mortelle. La reconnaissance et l'apaisement des proches qui avaient pris le temps d'accompagner en étaient la meilleure preuve.
La vérité est que cette loi n'est pas connue du grand public ni des professionnels de santé. Elle est encore moins appliquée. La vérité est que les bonnes pratiques en fin de vie ne sont pas suffisamment diffusées, et que la culture de l'accompagnement n'est pas encouragée au sein des familles. Je l'ai constaté lors du tour de France des régions que j'ai effectué ces deux dernières années.
Le rapport « La France palliative » que j'ai adressé à la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, en septembre 2007, fait état de l'inégalité de la diffusion de la culture palliative dans notre pays. Les moyens qui avaient été promis, lors du vote de la loi Leonetti, ne sont pas arrivés dans les régions. L'article 13 de la loi qui oblige les établissements pour personnes âgées dépendantes à mettre en place des soins palliatifs n'est toujours pas appliqué.
Le numéro Azur "Accompagner la fin de la vie, s'informer, en parler" (0811-020-300), installé par Philippe Douste-Blazy en mai 2005, pour répondre aux questions et à l'angoisse de la population face aux fins de vie difficiles, n'a pas été soutenu par une campagne de communication ! Résultat : un service public inconnu de ceux qu'il est censé aider !
Mais ce rapport ne se limite pas à une radiographie des avancées et des retards de la culture palliative en France. Il met en valeur des initiatives intéressantes dont on pourrait s'inspirer comme la création d'un groupe de réflexion sur l'accompagnement au sein d'un hôpital local, l'adaptation de la démarche palliative dans un service de réanimation, la création d'une équipe d'urgence palliative, qui a fait chuter de 40 % à 10 % le taux de transferts in extremis de personnes mourantes vers les urgences !
Il fait, enfin, des propositions, et notamment celle d'inviter tous les établissements sanitaires et médico-sociaux à organiser d'urgence un forum d'information sur la loi Leonetti et les bonnes pratiques en fin de vie. Cette mesure ne coûterait pas cher mais suppose la volonté politique de faire de cette pédagogie de la loi une priorité. Qu'attend donc le gouvernement ?
Marie de Hennezel est psychologue, auteur du rapport "La France palliative"
Point de vue publié dans Le Monde daté du 22 mars
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