En pleine « affaire Kerviel », la justice va devoir se pencher sur un nouveau dossier délicat pour la Société générale. L'Etat du Cameroun a assigné la banque française en responsabilité devant le Tribunal de commerce de Paris, le 27 août 2007, au sujet d'"une opération clandestine et frauduleuse" attribuée à sa filiale camerounaise, la Société générale de Banques au Cameroun (SGBC). Le tribunal doit désigner un juge rapporteur sur cette affaire le 5 mars.
Le Cameroun soupçonne la SGBC, filiale à 58 % de la Société générale, d'avoir participé à un détournement de fonds publics au détriment des retraités du pays, et reproche à sa maison-mère en France d'ignorer ses responsabilités. La fraude présumée porte sur 80,84 milliards de francs CFA (123,29 millions d'euros), l'équivalent de 3,5 % du budget du Cameroun en 2007.
Interrogé par Le Monde, le bureau antifraude de la Commission européenne, l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), affirme qu'il soutient la démarche du Cameroun, jugeant le dossier « suffisamment éloquent ». L'OLAF a été saisi du dossier dès 2005. L'organisme compte adresser un courrier à la justice française dans les prochaines semaines, pour officialiser sa position.
Les faits remontent à 1997. Confronté à d'importantes difficultés économiques, le Cameroun n'est pas en mesure alors d'honorer sa dette envers la Caisse nationale de prévoyance sociale du Cameroun (CNPS), l'organisme public chargé de « gérer l'épargne et les cotisations sociales des travailleurs et des retraités ».
Le gouvernement décide donc de procéder à une opération financière lui permettant de reculer l'échéance des remboursements. Il émet des obligations, pour un montant total de 249,8 milliards de francs CFA (380,8 millions d'euros actuels). L'organisme de gestion de la dette publique, la Caisse autonome d'amortissement (CAA), est désigné comme dépositaire des obligations et inscrit ces titres dans les comptes de la SGBC, « opérateur agréé ».
Mais en avril 2003, lors d'une vérification, l'Etat constate que le compte n'y est pas. « Curieusement, le relevé de compte ne mentionnait plus qu'une partie des titres, affirment les avocats mandatés par le Cameroun, Christian Bomo Ntimbane et Jean-Paul Ngalle-Miano, 123 millions d'euros ont disparu ». C'est le début des hostilités entre l'Etat et la banque.
Simple dépositaire
Cette dernière refuse d'endosser la responsabilité de la disparition des titres, revendiquant, dans l'affaire, un rôle de simple dépositaire et non de gestionnaire. Elle renvoie à la Caisse autonome d'amortissement, désignée comme le véritable gestionnaire des titres. Ainsi, dans un procès-verbal daté du 1er juin 2007, le directeur financier de la SGBC, interrogé par les représentants de l'Etat, indique : « Il est fort probable qu'une erreur matérielle (se) soit glissée (dans le relevé de compte) (...) C'est un relevé qui contient des éléments qui ne relèvent pas de la SGBC mais de la CAA. Nous faisons du recopiage. »
Les dirigeants de la SGBC renvoient aussi à une enquête pénale en cours au Cameroun, sur une fraude éventuelle au sein de la CNPS.
La thèse des avocats du Cameroun est autre. Ils estiment qu'il est de la responsabilité de la SGBC de rendre compte des mouvements de titres, quel que soit son statut, dépositaire ou gestionnaire. Ils vont plus loin, estimant que la SGBC s'est comportée en gestionnaire des titres de l'Etat, en les apportant en garantie à une opération financière réalisée avec une mystérieuse société offshore basée à Malte, Pandora Holdings (que l’on retrouve dans le JO luxembourgeois, note du ouaibemaître).
Les avocats produisent, en appui, un échange de courriers datant de l'été 1999 entre le directeur général de la SGBC de l'époque et Pandora. « La banque n'avait aucun droit d'utiliser ainsi des titres publics, inaliénables. Il fallait l'accord de l'Etat », ajoute un porte-parole du Cameroun.
Interrogée, la Société générale refuse de commenter. Mais un proche du dossier souligne le caractère opportuniste de cette démarche, alors que la banque est fragilisée par la fraude attribuée au trader Jérôme Kerviel. « Le Cameroun voudrait bien contraindre la Société générale à contribuer au financement du déficit de la sécurité sociale, mais la présentation de l'affaire est juridiquement inexacte », affirme cette source.
Claire Gatinois et Anne Michel, pour Le Monde daté du 28 février
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