Deux fois plus d'inspecteurs du travail agressés en 2007
Menaces de mort, coups, intimidations... Contrôler l'application de la loi dans certaines branches d'activité devient un métier à haut risque. Selon une note confidentielle transmise au ministre du Travail, les incidents violents ont doublé cette année.
En un an, le nombre des agressions contre les inspecteurs du travail a doublé. Selon nos informations, une note, transmise récemment au ministre du Travail, Xavier Bertrand, révèle que « 72 personnes ont indiqué avoir été confrontées à des incidents violents en 2007 », alors qu'en 2006 on en dénombrait 39. « On peut constater des incidents graves particulièrement nombreux en cette fin d'année », précise la note de synthèse.
En 2007, 64 agressions ont eu lieu au cours de contrôles en entreprise et 8 « à l'emploi ou dans les services administratifs ». La situation est d'autant plus sensible que la profession a encore en mémoire le double assassinat, le 2 septembre 2004, de deux inspecteurs du travail par Claude Duviau, un agriculteur de Dordogne. « Nous sommes préoccupés par la montée continuelle des agressions cette année. C'est surtout important dans l'hôtellerie, le bâtiment et l'agriculture », explique Jean-René Masson, directeur de l'administration générale de la modernisation des services au ministère du Travail. Quelques exemples.
Des coups donnés par une fleuriste
Le 30 novembre, une fleuriste en Dordogne s'en prend à deux contrôleuses et leur crie que si elle avait eu un fusil, elle s'en servirait contre elles, poursuivant par des violences physiques - des coups de poing à l'épaule -, selon la note du ministère du Travail. « Ça nous inquiète car cela s'est passé dans une région où un drame terrible s'est produit. Nous avons placé depuis les deux contrôleurs sous protection », précise Jean-René Masson. Les pouvoirs publics ont-ils vraiment tiré tous les enseignements du drame ? « Nous avons un vrai soutien du ministère de la Justice, qui facilite les fixations de dates des procès de ceux qui agressent les contrôleurs », précise M. Ricochon, directeur départemental de l'inspection du travail de Paris.
Plaqués au mur dans un restaurant
Le 1er juin, deux inspecteurs du travail qui contrôlaient une brasserie près de Nantes ont été plaqués au mur et maintenus pendant une heure enfermés dans le restaurant. Ils intervenaient pour vérifier les conditions de travail des apprentis mineurs. Ils ont porté plainte pour « menaces, outrage et intimidation ». Leurs agresseurs ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis.
Repli dans la voiture pour éviter des forains
A l'occasion d'un contrôle sur un manège forain pour l'emploi de main-d'œuvre en situation illégale, le climat a dégénéré le 23 mai à Cousolre, dans le département du Nord. « Les agents ont dû se replier dans leur voiture et s'y enfermer, alors que les forains les encerclaient, menaçants, et les prenaient en photo avec leurs téléphones portables. Ils n'ont dû leur salut qu'à l'arrivée des forces de l'ordre », explique-t-on au ministère du Travail.
Bagarre à propos de produits cancérigènes
Le patron d'une société a tenté d'agresser deux contrôleuses qui vérifiaient si les bombes aérosol de son entreprise ne contenaient pas de produits cancérigènes. Cela s'est passé le 21 novembre dans le Pas-de-Calais. Elles ont été protégées par un cadre de l'entreprise qui s'est interposé « avec beaucoup de difficultés » face à son employeur.
Des chômeurs radiés menacent des contrôleurs
Les contrôleurs de travail du service de la recherche d'emploi sont eux aussi soumis à de fréquentes agressions de la part de fraudeurs aux Assedic (voir ci-dessous). A Rennes, le 24 octobre dernier, l'un d'entre eux a menacé une contrôleuse en lui disant : « Je n'ai plus rien à perdre. Moi, je finirai peut-être au chaud, mais vous, vous serez au froid pour toujours… »
Marc Payet, pour Le Parisien du 21 novembre
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« On ne fait pas un métier facile »
Marie-Claude Bernard, chef du service de la recherche d'emploi de Paris
« Si je ne suis pas payé, je reviens demain et je tue tout le monde avec un colt. » Cette phrase a été prononcée le 27 septembre dernier par un demandeur d'emploi à une contrôleuse du travail de Paris, qui venait de lui annoncer qu'elle allait devoir lui supprimer ses allocations. Il a ensuite saccagé le local et tenté de lui jeter à la tête l'ordinateur posé sur le bureau.
L'auteur des faits passera devant le tribunal fin janvier. Cet incident est révélateur de l'extrême tension, méconnue, qui règne parfois dans ces entretiens menés par les contrôleurs du travail du « service de la recherche d'emploi », un service du ministère du Travail qui traque d'une part les fraudeurs aux Assedic et d'autre part les chômeurs qui ne rechercheraient pas réellement d'emploi.
« On se doit de traquer les faux chômeurs qui abusent du système »
Dans les deux cas, des sanctions financières sont prononcées, pouvant aller jusqu'à la suppression pure et simple des prestations. « On ne fait pas un métier facile, car nous avons souvent en face de nous des gens en situation très difficile. Mais on se doit de traquer les faux chômeurs qui abusent du système. Pour autant, on ne veut pas se faire agresser, explique Marie-Claude Benard, chef du service de la recherche d'emploi de Paris. Car, souvent, les échanges sont musclés, face à des gens qui peuvent disjoncter ».
« Sur 100 entretiens, 30 % sont tendus et 15 % donnent lieu à une agressivité verbale qu'il faut savoir gérer », ajoute Martine Catinaud, qui supervise aussi ce service. En 2007, 4 200 contrôles ont été effectués sur Paris, 676 sanctions ont été prononcées dont 500 pour des fraudes avérées, principalement dans les secteurs du bâtiment, de la restauration et de la confection, avec une progression récente dans le secteur des congés-spectacles. Les fraudes concernent le plus souvent des reprises de travail sans les déclarer aux Assedic, tout en continuant à bénéficier des allocations, ou du travail clandestin (avec la complicité de l'employeur) en cumulant avec les allocations.
« Les gens nous disent : " Vous me coupez les vivres ? Je vais vous flinguer, ou je vais me flinguer " »
« Mais les agressions sont le plus souvent le fait de chômeurs de longue durée, désociabilisés, qui ne se rendent plus aux convocations des Assedic. Lorsque nous leur expliquons que l'on va être obligé de prendre des sanctions, il arrive qu'ils pètent les plombs. C'est dans ce contexte-là que les agressions sont les plus fréquentes », indique Martine Catinaud. Ce sont le plus souvent des menaces orales. « Les gens nous disent fréquemment : Vous me coupez les vivres, comment je vais faire pour ma famille ? Je risque d'être expulsé. Je vais vous flinguer, ou je vais me flinguer », ajoute-t-elle.
Face à ces situations de crise, le conseil est de « laisser parler les gens, sans les interrompre ». « Nous avons conscience qu'ils sont en souffrance… », ajoute-t-elle. Mais, parfois, les menaces sont trop graves pour les laisser passer. Un contrôleur a ainsi reçu une lettre où on le menaçait de lui lancer du vitriol, ce qui a valu à son auteur une condamnation devant les tribunaux. Pour éviter le pire, tous les bureaux de ce service sont disposés de façon que le contrôleur soit plus près de la porte que le contrôlé, pour pouvoir sortir rapidement au cas où. « On a demandé des sonnettes d'alarme, mais on nous a dit que cela coûterait trop cher », conclut un contrôleur.
M. P., photos Marc Menou, pour Le Parisien (édition de Paris)
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