Il faut rappeler les faits. Il faut dire les mots. Il faut décrire les hommes. Comme à une époque que l’on croyait révolue, les autorités utilisent un vocabulaire codé. L’essentiel étant de laisser croire qu’il ne se passe rien que de très légal. C’est vrai, quoi, l’Etat a bien le droit de se séparer d’une immigration, non-souhaitée, qui encombre le territoire national. Il convient pourtant d’y mettre les formes, et la sémantique est appelée à la rescousse. 0n ne rafle pas - quel gros mot - on interpelle, on procède à des contrôles. On ne déporte pas - quel rappel horrible à un triste passé - on expulse !
Longtemps, on a cru que l’activité des policiers de Vichy - à l00 % de leur effectif - faisait partie d’un mauvais cauchemar. Ceux-là, sans broncher, avaient été capables de rafler des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards grabataires. Depuis la Libération, nous étions persuadés qu’en démocratie le moindre accroc aux droits de l’homme les plus élémentaires était désormais impossible. Comme la France ne pouvait être que la plus belle des démocraties, il allait de soi que de telles mauvaises manières ne pouvaient plus se reproduire chez nous.
C’était oublier les véritables rafles « d’indigènes » dans les colonies françaises, pour trouver de la chair à canon, lors des deux guerres mondiales et même au cours des conflits post-coloniaux du Vietnam et d’Algérie. Ce serait faire table rase du comportement de la police française tout au long du conflit algérien, avec son cortège de rafles et d’assassinats de militants nationalistes. Comment passer par pertes et profits cette sinistre nuit du 17 octobre 1961 - à Paris - et ces centaines de morts algériens tous Français à cette époque ?
Le temps a passé. Notre police ne s’intéresse surtout qu’à ces sans-papiers, qui n’ont pas « vocation à rester en France », comme le disait Lionel Jospin, en janvier 2002. Bien sûr, il n’y a plus de camps de concentration - simplement des centres de rétention. Si l’un ne déporte plus à bord de wagons à bestiaux, il est fait appel à des avions de ligne où les parias sont maltraités par les policiers de la PAF, très actifs au cours de ces vols vers l’Afrique.
Ce serait pratiquer un amalgame sordide que de comparer cette répression ordinaire à l’activité de nos policiers français, au temps de l’occupation nazie. On ne tue plus que par mégarde, ou simplement en « légitime défense ». Cela au service d’un ordre démocratique qui, parfois, se laisse aller à perdre ses repères. Les policiers qui raflent des enfants de sans-papiers jusque dans les écoles, ou des ouvriers sur leur lieu de travail, sont des hommes ordinaires. Ce serait leur faire injure que de dénoncer ce zèle à mal faire. Un véritable outrage envers ces fonctionnaires qui ne font qu’obéir aux ordres. Ceux qui ont servi sous Vichy, pour le compte de la Gestapo, n’ont pas eu d’autre ligne de défense, lorsque, après la Libération ils étaient redevenus des policiers républicains.
Ah oui, un détail qui change tout. En 1942, nos policiers avaient le certificat d’études primaires. En 2007, on n’entre dans la police que si l’on est titulaire du baccalauréat.
© Maurice Rajsfus, président de l’Observatoire des libertés publiques, dans Que fait la police ? (novembre 2007). Dessin de Siné.
A lire également le sujet de Chloé Leprince publié hier sur Rue 89 et intitulé Immigration : après l'ADN, des contrôles au poil.
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