Journaliste économique et politique, Emmanuel Schwartzenberg est un très bon connaisseur des médias. Pendant dix ans, il a été responsable de la page Médias-Publicité du Figaro et actuellement il est chroniqueur médias sur France Info. Son livre, « Spéciale dernière. Qui veut la mort de la presse quotidienne française ? » (Calmann-Lévy, 2007) est un essai courageux sur les vraies maladies de la presse écrite en France.
Les chiffres sont là et ils sont très inquiétants. En 1914, la France pouvait se targuer avec 244 quotidiens vendus pour 1 000 habitants et occupait la première place mondiale. Aujourd’hui, avec 149 exemplaires vendus pour 1 000 habitants, elle n’est qu’à la 31e place, derrière tous les pays européens. Aux Etats-Unis, on peut compter 7,2 titres quotidiens par millions d’adultes, en Allemagne 5,9, en Espagne 3,8, en Grande-Bretagne 2,3 et en France seulement 1,8 ! Il n’y a pas un seul quotidien qui ne soit pas en déficit. Et pour cause. En 2006, la somme totale des ventes (hors abonnements) du Monde (125 000), du Figaro (140 000), de Libération (75 000) et même du Parisien (90 000) équivaut à celle de France Soir en 1981 (430 000 exemplaires). La situation n’est pas prête de s’améliorer (malgré le rebond dû aux élections de juin 2007) : en mai 2007, la presse quotidienne a enregistré, avec une baisse de 20,6 %, l’un des plus forts reculs de son histoire.
Depuis 1973, année du lancement de Libération, aucun nouveau quotidien ne s’est créé en France. Quelles sont les causes de ce déclin qui semble inéluctable ? D’aucuns parlent de l’essor des nouveaux médias, de l’Internet et des chaînes sur le câble. D’autres, de l’apparition des gratuits. Il y a bien là-dedans une grande part de vérité mais cela n’explique pas tout. Sinon, comment se fait-il que dans un pays comme la Grande-Bretagne où le câble, le satellite, la télévision numérique terrestre se sont développés avant et bien plus vite qu’en France, les quotidiens se portent très bien ? Non, comme pour la situation économique, les causes sont internes. Et à l’auteur de les détailler.
Tout commence au lendemain de la deuxième guerre mondiale lorsque les ouvriers des imprimeries (et le Parti communiste) obtiennent le monopole de la fabrication des journaux et en 1947 quand on a créé les Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), les coopératives chargées de distribuer la presse. Ces deux monstres étatiques existent toujours et gardent encore le monopole de l’impression et de la distribution des principaux quotidiens français. Il s’agit de deux administrations dont les coûts sont tellement élevés que les quotidiens n’arrivent plus depuis longtemps à assurer les marges. Les syndicats dirigent les imprimeries et la distribution et ce sont eux qui décident du nombre de personnes employées. Sans parler des rémunérations dont les plus basses s’élèvent à plus de 4 000 euros par mois pour un rotativiste ! De plus, celui-ci bénéficie de neuf semaines de vacances par an, d’une couverture sociale qui lui permet de conserver son salaire pendant trois ans et des augmentations de salaire automatiques qui interviennent tous les ans sinon deux fois par an. Et ce n’est pas tout. En vertu d’un principe communiste dit de l’« ouvrier collectif », le Livre a institué le mécanisme ingénieux de la rotation permanente des postes. Une façon de bénéficier des avantages conférés à chaque poste disponible. Au total, l’impression représente un coût qui avoisine 40 % du prix de vente d’un quotidien.
Publicité qui se détourne de la presse écrite en préférant les médias audio-visuels, le rôle de plus en plus important de l’Internet et des gratuits dans la diffusion de l’information font partie, effectivement, des raisons qui ont condamné les journaux écrits. Néanmoins, l’auteur passe un peu trop vite sur la qualité de la presse française. Où sont les grandes enquêtes à l’anglo-américaine sur le pouvoir politique ? Pourquoi la presse (et aussi une partie des autres médias) protège les entreprises publiques, le monde de l’administration et des syndicats ? Pour les premières, il s’agit, bien évidemment, des retombées publicitaires, très importantes lorsqu’il s’agit des entreprises comme EDF-GDF ou la SNCF, mais rien n’explique la complaisance à l’égard de l’Etat, ne serait-ce que pour les raisons idéologiques. D’ailleurs, tous les sondages montrent clairement que les journalistes votent, dans leur grande majorité, pour la gauche et sont antilibéraux et antiaméricains. Une remise en cause de ces a priori politiques et une réforme des écoles de journalisme ne pourraient que contribuer utilement à une tentative de sauvetage d’une presse suicidaire.
© Bogdan Calinescu, pour Libres
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