L'équipe du cinéaste Laurent Cantet était présente dans l'avion. Témoignage
« Nous partions à Bamako tourner quelques scènes de mon prochain film », raconte le réalisateur Laurent Cantet (Ressources humaines, l'Emploi du temps). « Et au moment où les portes de l'avion allaient se refermer, on a entendu des hurlements », poursuit son assistant et directeur de production, Michel Dubois. Une bagarre vient d'éclater à l'arrière de l'appareil d'Air France 796 à destination de la capitale du Mali. Le décollage était prévu à 16h40 samedi. L'embarquement s'était passé tout à fait normalement. Les passagers ne savaient pas qu'un sans-papiers en cours d'expulsion de la France vers le Mali devait voyager dans le même avion qu'eux.
« Grande violence ». La suite est racontée par Laurent Cantet, Michel Dubois et des membres de l'équipe de tournage. Ce qu'ils ont vécu était si dur que, dans la nuit de samedi à dimanche, ils ont couché leur témoignage par écrit. Le Réseau Education sans frontières (RESF), auquel appartient le cinéaste, s'est chargé hier de le diffuser. Michel Dubois est assis au fond de l'appareil. Il se retourne. Voit deux personnes en civil tentant de contenir un Noir assis au dernier rang, qui se débat violemment. «On s'est demandé s'il s'agissait d'une agression entre passagers», raconte-t-il. Plusieurs personnes s'interposent. Les individus en civil révèlent alors leur état de policiers. «S'ensuit une scène d'une grande violence, raconte Laurent Cantet. Les flics étaient à genoux sur le mec. L'un semblait vouloir l'étrangler, l'autre lui assénait des grands coups de poing dans le ventre.» Les hurlements du Noir se transforment en râles. «Sous les huées des passagers, l'homme finit par être immobilisé et sanglé», témoignent les collaborateurs de Laurent Cantet. La scène a duré dix bonnes minutes.
Dans l'avion, et plus précisément à l'arrière, beaucoup de voyageurs sont Noirs, et réagissent particulièrement mal. « Un passager a filmé la scène avec son téléphone portable »,raconte Laurent Cantet. Une policière qui semble être la responsable de l'opération «menace alors d'arrestation les personnes les plus proches et photographie les protestataires». Elle leur explique que l'homme n'est pas un simple sans-papiers mais un «d ouble peine » ; en clair, un repris de justice condamné à une peine de prison et à l'expulsion de France. Le passager, lui, semble avoir perdu connaissance. « Il a fait une sorte de crise d'épilepsie », témoigne Michel Dubois. Les policiers décident de l'évacuer. «On l'a vu passer avec les yeux révulsés, la langue qui pendait, de la bave autour de la bouche, rapporte Laurent Cantet. Quelqu'un l'a ensuite aperçu par le hublot dans une ambulance avec un masque à oxygène.» Les témoins sont sous le choc.
« Beaucoup imaginent que l'homme est mort, ce qui fait encore monter d'un cran l'émotion. » Une hôtesse et plusieurs passagères pleurent. Une fois l'homme débarqué, «une bonne dizaine d'agents de la police de l'air et des frontières [la PAF, ndlr] font irruption dans l'appareil », poursuivent les collaborateurs de Laurent Cantet. Le cinéaste pense que les policiers sont à la recherche de celui qui a filmé la scène. Mais ils ne parviennent pas à l'identifier. Et repartent avec Michel Dubois. « J'ai été désigné par la responsable de l'opération comme celui qui avait mené l'opposition à cette action extrêmement violente », témoignait-il hier. De nouveau des passagers protestent, refusant de s'asseoir et de se calmer. Un policier remonte alors à bord de l'avion pour leur proposer, selon Laurent Cantet, « un marché incroyable : Michel pourrait réembarquer à condition que l'expulsé le soit aussi». Un autre policier indique que Michel Dubois a été placé en garde à vue, et menace les protestataires du même sort.
Vol annulé.
L'affrontement dure depuis une bonne heure. Il est près de 18 heures. Le commandant de bord annonce que le vol est annulé. Dans son message, il évoque « les "manoeuvres" d'un individu refusant d'être reconduit dans son pays d'origine », et « les manifestations d'une minorité de passagers », affirment les collaborateurs du cinéaste. Dans l'aérogare, les policiers sont toujours, selon Laurent Cantet, à la recherche du photographe. Michel Dubois, lui, a été relâché vers 22 heures. Apparemment sans que des poursuites aient été engagées contre lui, affirmait hier son avocate, Dominique Noguères.
Du côté d'Air France, un porte-parole de la direction banalisait l'affaire, confirmant qu'un « reconduit à la frontière a protesté, à la suite de quoi il y a eu une petite réaction d'hostilité, semble-t-il, de certains passagers ». Le commandant de bord, estimant alors « que les conditions de sécurité n'étaient pas entièrement réunies pour que le vol ait lieu sereinement », a préféré l'annuler. Du côté du gouvernement, le ministère de l'Intérieur, dont dépend la PAF, renvoie désormais sur le nouveau ministère de l'Immigration, de l'Intégration, du Codéveloppement et de l'Identité nationale. La version des policiers telle que la rapporte un collaborateur du ministre Brice Hortefeux est évidemment différente. Selon lui, l'expulsé est un « ressortissant malien âgé de 50 ans faisant l'objet de deux interdictions du territoire ». Calme dans un premier temps, l'homme se serait ensuite montré « surexcité », ameutant les passagers, « assénant un coup de tête et mordant l'un des trois policiers qui l'escortaient si bien que la PAF a dû intervenir pour prêter main-forte à l'escorte ». Pris d'un malaise, le Malien aurait ensuite été débarqué de l'avion et examiné par un médecin qui a jugé son état compatible avec un placement en garde à vue. Sous le coup d'une plainte pour « opposition à une mesure d'éloignement, refus d'embarquement et coups et blessures contre un policier », il sera jugé aujourd'hui en comparution immédiate. Face à la multiplication des poursuites contre des citoyens ayant tenté de s'opposer à l'expulsion de sans-papiers, les animateurs du RESF qui défendent les parents sans papiers d'enfants scolarisés ont annoncé la création d'un collectif de
« défense coordonnée des victimes de la criminalisation de la solidarité ».
Par Catherine Coroller, Libération du 28 mai 2007
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Paris-Bamako: le passager malien laissé en liberté
Un Malien sans papiers qui s'est opposé à son expulsion dimanche, provoquant l'annulation du vol Paris-Bamako, a été laissé libre en attendant son audition le 28 juin.
Un Malien d’une cinquantaine d’années, qui devait être expulsé samedi sur un vol Paris-Bamako d’Air France, a été laissé libre dimanche par le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) qui a renvoyé l’examen de l’affaire au 28 juin, a-t-on appris lundi auprès du réseau éducation sans frontières (RESF).
Selif Kanaté, Malien sans papiers, a été « renvoyé libre à une audience le 28 juin prochain » après avoir été présenté dimanche en « comparution préalable au juge des libertés et de la détention » du tribunal de Bobigny, a expliqué à l’AFP Jean-Michel Delarbre de RESF.
« Nous ne savons pas où se trouve cet homme mais nous allons tout faire pour assurer une défense coordonnée pour son audience le 28 juin », a ajouté Jean-Michel Delarbre.
Selon RESF, Michel Dubois, un passager du vol Paris-Bamako qui avait tenté de s’interposer pour empêcher l’expulsion de M. Kanaté et avait également été interpellé samedi, a été relâché samedi soir.
Le vol Paris-Bamako (Mali) d’Air France au départ de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle a été annulé samedi après-midi après l’intervention de plusieurs passagers contre l’expulsion de M. Kanaté.
Plusieurs témoins présents dans l’avion ont raconté à l’AFP qu’avant le départ, M. Kanaté s’était levé, ce qui avait entraîné l’intervention des agents de police l’accompagnant.
«Nous avons entendu des bruits de strangulation et des râles de douleur», a notamment affirmé à l’AFP Laurent Cantet, membre de RESF, présent dans l’avion.
Selon Air France, qui n’a fourni aucun détail, «le commandant de bord a estimé que les conditions de sécurité n’étaient pas remplies». Le vol devait décoller à 16H40 samedi. Ses passagers ont été reportés sur le vol Paris-Bamako de dimanche.
(AFP)
A lire, sur Mille Babords, des témoignages de passagers et sur le site du Réseau éducation sans frontières un communiqué.
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