Par Salam Fayyad, ministre palestinien des Finances
Dans le Daily Star d'hier samedi 7 avril, le ministre palestinien des Finances a plaidé pour la levée des sanctions économiques imposées après le succès du Hamas aux dernières élections. Outre la situation catastrophique sur le plan humanitaire, il évoque également les effets pervers qu'a provoqués la suspension de l'aide économique par les voies officielles.
Il y a trois semaines, j'ai été nommé ministre des finances d'un peuple dont l'économie est quasiment en ruines. Début de l'action pour le nouveau gouvernement d'union nationale, né après des mois de négociations tortueuses, dans un contexte de sanctions économiques, de tueries et de misère.
Ce fut une mauvaise année pour une Autorité palestinienne qui se bat pour sa survie. Nos difficultés économiques se sont profondément aggravées pendant cette période, après des élections libres et honnêtes qui ont porté le Hamas au pouvoir. Du fait que le programme politique du Hamas ne convenait pas à certains éléments clés du processus de paix, dont son refus de reconnaître le droit d'Israël à exister et de renoncer à la violence, la communauté internationale a imposé des sanctions à l'Autorité palestinienne.
Bien qu'une bonne part des discussions qui ont précédé la formation du gouvernement d'union aient tourné autour de ces deux engagements, leur validité n'aurait jamais dû être remise en question. Car ils ont été pris en 1993 par l'OLP, représentant légitime du peuple palestinien, dans le cadre d'un accord clair comme de l'eau de roche et contraignant, et aucun gouvernement palestinien ne peut revenir sur ces engagements. En fait, le programme du gouvernement d'union déclare explicitement qu'il honorera tous les engagements pris par l'OLP qui, pour être précis, comprennent ces deux engagements-là.
Je suis quelqu'un qui, depuis longtemps, travaille à la paix et à la réconciliation avec Israël, une paix fondée sur la reconnaissance mutuelle des droits de chacun des peuples, et j'ai toujours souscrit au programme politique de l'OLP et aux engagements qu'il comprend, y compris la reconnaissance du droit d'Israël à exister et à la renonciation à la violence. Je n'ai pas varié. Mais ma priorité principale, aujourd'hui, est de m'efforcer de faire en sorte que soient levées les sanctions économiques et de restaurer l'intégrité de notre système de finances publiques.
Une année dure et douloureuse après le début des sanctions est passée, et nous chancelons sous la pauvreté et le chômage. Aujourd'hui, pratiquement deux tiers de la population palestinienne connaît la pauvreté, avec un revenu par habitant à 60% de son niveau de 1999. Mais, comme l'a dit Thomas Jefferson, "les flatteries de l'espoir sont aussi vaines et superficielles que l'ombre du désespoir." En tant que Palestinien, il est de mon devoir d'espérer et de travailler sans relâche à ce que les rêves de mon peuple deviennent réalité.
Nous, les Palestiniens, rêvons de mener une vie normale. Nous rêvons du jour où les agriculteurs palestiniens de Cisjordanie ne verront plus leurs récoltes détruites pour faire place à des routes réservées aux Israéliens.
Nous rêvons du jour où les enfants palestiniens ne devront plus braver les check points pour aller à l'école, et où les 1,4 millions de Palestiniens de Gaza ne seront plus confinés dans leur territoire, coupés du reste du monde.
Comme tous les autres peuples, nous méritons d'être libres sur notre terre.
Nous méritons des institutions démocratiques, transparentes et qui rendent des comptes. Et nous méritons de vivre en paix et dans la coopération économique avec tous nos voisins, y compris Israël.
Pendant des années, la communauté internationale a encouragé et soutenu les Palestiniens à bâtir des institutions démocratiques qui serviraient de fondations à notre futur Etat. L'aide des pays donateurs a servi à payer des écoles, des hôpitaux et des routes, ainsi qu'à soutenir une bonne gouvernance et à apporter leur savoir-faire dans le domaine du fonctionnement des institutions.
J'ai été une première fois ministre des finances, entre juin 2002 et décembre 2005. J'ai joué alors un rôle majeur pour rétablir la transparence et la responsabilité dans les finances du gouvernement, en introduisant une série de réformes profondes et variées, qui ont contribué à ce que nos finances publiques répondent aux critères internationaux. Ces réformes ont compris la consolidation de toutes les recettes gouvernementales du ministère des finances, la suppression des dépenses hors budget et la publication régulière des positions financières détaillées.
Depuis le début des sanctions internationales, l'aide a continué à affluer, ce qui a permis d'éviter la faim. Mais, en faisant parvenir des fonds en passant par-dessus le ministère des finances [alors occupé par un ministre du Hamas, note du traducteur], les donateurs ont, sans l'avoir voulu, contribué à revenir sur ces succès. De nouveau, l'argent qui arrive ne peut plus être tracé, et nous ne pouvons plus garantir qu'il ne soit pas mal utilisé.
Il est un fait, également, que notre dépendance vis-à-vis de l'aide internationale augmente à mesure que notre développement économique est bloqué. Par exemple, en 2005, seuls 16% de l'aide envoyée par l'Union européenne à la Palestine était définie comme humanitaire. L'année dernière, ce pourcentage s'est élevé à 56%.
Nous ne souhaitons pas être une nation de mendiants, dépendante du monde pour nourrir son peuple. Nous avons les capacités, le niveau d'éducation et le talent pour bâtir une économie prospère et une démocratie forte. Mais cela nous est impossible tant qu'Israël ferme nos frontières et retient les recettes fiscales qu'il nous doit, et tant que les règles bancaires américaines empêchent les banques de traiter les opérations financières du gouvernement.
Pour que nous puissions recommencer à développer les institutions et les systèmes qui nous rendront auto-suffisants et qui conforteront les fondations de notre futur Etat, il faut que les sanctions soient levées.
Depuis longtemps, les Etats-Unis (comme le reste du monde) reconnaissent que la création d'un Etat palestinien indépendant et viable en Cisjordanie (y compris Jérusalem Est) et dans la bande de Gaza représente le moyen de sortir de ce conflit vieux de près de 60 ans. Mais, en attendant que la communauté internationale fasse preuve de volonté politique pour aider à parvenir à un règlement global, règlement qui offrira aux Palestiniens la liberté de bâtir leur propre économie sur leur propre terre, nous tous continuerons à payer cher. Le désespoir continuera à éroder l'espoir. Et n'oublions pas les paroles de Jefferson, l'espoir peut être "vain et superficiel".
Salam Fayyad, ministre des finances du gouvernement palestinien (traduction Gérard Eizenberg).
Cet homme politique palestinien est né en 1952 à Dayr al-Ghassun près de Tulkarem. Après des études d'ingénierie à l'Université américaine de Beyrouth et un doctorat d'économie à l'Université du Texas à Austin, il a travaillé à Amman (Jordanie) dans le privé puis a enseigné à l'Université du Yarmouk. Il a fait ensuite de la recherche à l'Université du Texas et a travaillé à la Banque mondiale à Washington. Il a été le représentant résident en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza du Fonds monéraire international, puis a dirigé quelque temps l'Arab Bank en Cisjordanie avant d'être nommé ministre des Finances par Yasser Arafat en 2002. Il a conservé ce poste dans le gouvernement formé en 2005 par le Premier ministre Ahmed Qoreï, sous la présidence de Mahmoud Abbas. Il dirige également le directorat du Fonds palestinien d'investissement. En 2006, il est remplacé par Omar Abdel Razeq (Hamas). En 2007, une fois de plus, il a été nommé ministre des Finances dans le gouvernement d'union nationale palestinien. (F.A.)
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