Il n’y aura pas, dimanche 22 avril, de sondages “sortie des urnes”, ont promis les instituts français. La Commission des sondages indique pour sa part que les radios et télévisions «se sont engagées à tenir secrètes jusqu’à 20h les estimations que leur fourniront leurs instituts partenaires». Cette annonce de bon sens intervient après des tergiversations et une prise de position (réitérée) du garant de la loi, allant dans le surprenant sens de la grande permissivité. Et ce alors que, très discrètement, un projet de loi répressif est paru depuis le 11 avril sur le site des Journaux officiels.
Les sondages sont interdits de diffusion «la veille et le jour du scrutin», comme rappelé ici. Tout s'arrête donc ce soir à minuit. Enfin, serait-on tenté de dire. Pour Marie-Eve Aubin, présidente de la Commission des sondages. tout chiffre qui circulerait pendant la journée «serait le fruit de rumeurs et de manipulations».
Dimanche à partir de 20heures, heure de Paris, des estimations seront diffusées, portant sur les 200 premiers bulletins dépouillés dans des centaines bureaux tests qui ferment à 18h. Cela reste donc inchangé.
Jeudi matin, sur Europe1, le candidat Nicolas Sarkozy, interrogé au sujet d’une éventuelle diffusion de sondages avant la fermeture de l’ensemble des bureaux de votes des grandes villes (20h à Paris, par exemple), avait répondu: «Non, franchement, ça ne me choque pas, parce que le monde est devenu un village». Une déclaration un brin surprenante de la part du président en exercice, garant du respect des lois, et qui aurait eu tout loisir par la suite de se plaindre, en tant que candidat, si une telle divulgation avait pu, peu ou prou, altérer la sincérité du scrutin, le plaçant, par exemple, en troisième palce, donc disqualifié.
Le constitutionnaliste Guy Carcassonne, interrogé par le Nouvel Obs, prend l’exemple de la présidentielle de 2002, et estime que si une affluence record avait replacé Lionel Jospin devant Jean-Marie Le Pen, les Français l’auraient fait «par sincérité», et par conséquent le vote n’aurait pas été annulé.
Le candidat François Hollande se rangeant sagement du côté de la loi, a demandé la «sévérité» à l’encontre des éventuels contrevenants. Un candidat prudent qui, à 14h36 a fait publier sur son compte twitter un message annonçant la déconnexion de sa page facebook à compter de minuit (ci-dessous).
Quant au Parquet de Paris, il a annoncé son intention de saisir la police. Sous couvert de l’anonymat, un magistrat fait part au blogue de «l’impossibilité matérielle» et du «ridicule» qu’il y aurait à engager des poursuites contre cinq millions d’utilisateurs du réseau social twitter.
Réjoui de voir le parquet pour l’application de la loi, le candidat Nicolas Dupont-Aignan a estimé sur le site de Debout la République que, «après la viande halal et le permis de conduire, une nouvelle polémique inutile vient d’être inventée pour esquiver les véritables problèmes de notre pays».
Même sans partager les idées du député de l’Essonne, il était difficile de mieux résumer le niveau auquel le parti au pouvoir depuis dix ans nous mène.
Mais ce vendredi matin, sur RTL, le président sortant n’a rien trouvé de mieux à faire que d’en rajouter une couche.
«Moi, en tant que chef de l'Etat et candidat, j'ai dit qu'on ne va pas brouiller les messages sur les ordinateurs pour que les Français ne puissent pas accéder aux résultats», a-t-il déclaré. «Tout le monde à un ordinateur! On va mettre une barrière numérique? On va brouiller les ordinateurs? On vit dans quel monde, enfin?», a-t-il ajouté.
«On va empêcher les gens qui ont un abonnement sur le câble d'aller sur la BBC? […] Ce n'est pas la France que je veux, je veux une France qui s'inscrive dans le monde moderne, où les journalistes puissent faire leur travail», a conclu le président sortant.
Techniquement, ce que le président Sarkozy affirme ne pas vouloir faire est faisable. Avec de gros moyens, certes, mais faisable.
Du reste, lorsqu’il promet de nouvelles lois antiterroristes à la suite des tueries de Toulouse et Montauban, et qu’il y inclut la «consultation habituelle» de certains sites Internet, c’est donc qu’il sait qu’il est possible de savoir qui fait quoi. Le dossier —avec une “étude d’impact” [sic!] dont on se demande en combien de temps elle a été réalisée— est déjà publié sur le site des Journaux officiels depuis le 11 avril, sans que la presse traditionnelle ne s’en soit émue, alors que certains journalistes spécialisés, tout comme certains chercheurs ou étudiants, pourraient pâtir de ce projet de loi.
Il me souvient d’un temps où, jeune journaliste à la Guadeloupe, j’étais privé de liaisons téléphonique en milieu d’après-midi le dimanche. Privé de téléphone avec la France hexagonale dès qu’il était 20h à Paris. Et ce chaque dimanche d’élection.
Certes il n’y avait à l’époque qu’un opérateur téléphonique. Mais nous avions des moyens de “ruser”: les plus privilégiés avaient déjà des téléphones de voiture, d’autres avaient le Minitel, d’autres avaient de la famille ou des amis en France, qui les appelaient peu avant 20h, heure de Paris, et restaient en communication au-delà.
Désormais, les Antillais (comme les Français de la zone Amérique) votent le samedi. Et c’est lorsque le ministre de l’Intérieur s’appelait Nicolas Sarkozy que cette réforme est passée. Que n’a-t-il pensé à légiférer sur les sondages du dimanche soir, plutôt que d’en faire une polémique de désespéré!
Fabien Abitbol, ill.: dessin de Un dessin par jour (haut), copie d’écran du compte twitter de François Hollande (bas)
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