J’apprends ce soir à la lecture de ces quelques lignes publiées sur le site de La Meuse (du groupe belge Sudpresse) le décès depuis le 12 juillet de celui que j’ai longtemps appelé, avec respect, sans jamais connaître — ni chercher à savoir — sa véritable identité, « Monsieur Sender ». Surnommé par les médias « le pâtissier des rois », SG Sender s'est éteint dans sa soixante-dix-neuvième année des suites de la longue maladie qui le rongeait.
Je le savais né en Belgique et
qu’il avait soixante ans « passés, jeune homme ». Il était né le 20 décembre 1930
à Mont-sur-Marchienne (Charleroi) et j’ai fait sa connaissance en 1993, il me
semble. J’étais alors nègre
culinaire. Et je n’entends rien au sucré. Une bonne relation m’avait conseillé
cet homme, sans me dire son passé, ni le côté sacré que de nombreux pâtissiers
pouvaient lui trouver. « Monsieur Sender », dont j’apprends ce soir
qu’il s’appelait Sender Wayntraub, ou SG Sander (SG comme Serge Gustave, Sender
n’étant que son troisième prénom), ne pouvait qu’être mon homme. Je m’aperçois
ce soir que même au Who’s who il est répertorié à la lettre S.
Je résidais déjà dans le 20e arrondissement, non loin de la porte de Montreuil. Il n’était pas tout près : il habitait du côté de Neauphle-le-Château et « ses » bureaux se trouvaient à Thiverval (Yvelines), dans un domaine de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), où il me donnait généralement rendez-vous en milieu de matinée. Il appréciait la ponctualité, mais savait aussi prendre son temps… quitte à devoir décaler son rendez-vous suivant. Un certain savoir-vivre. Parfois aussi de la fatigue qui le faisait prendre les devants et décommander un rendez-vous, pour mieux se reposer.
A mon premier rendez-vous, je fus impressionné par sa bibliothèque, dont il me dit très rapidement — non sans une certaine fierté — qu’elle lui appartenait. Pas le mobilier, propriété de l’Inra. Non, les livres rares et précieux. Cinq ou six mille, dont certains remontaient au XVIe siècle. Tous ces ouvrages, la plupart sous clef, la plupart anciens, usés par la patine, parlant tous de cuisine, et presque tous en français, ou en vieux français pour quelques-uns. Peut-être y avait-il quatre ou cinq cents vieux livres introuvables ailleurs. Une merveille, sauf que… je n’y entendais rien au sucré. Et c’est pourquoi j’étais là.
Il avait obtenu du ministre de la Culture, des Grands travaux et du Bicentenaire, Jack Lang, le titre de « conservateur », et une affectation à Thiverval, où il pouvait ranger ses livres et jouir d’un atelier de cuisine, son « laboratoire », dont il semblait fier, mais qu’il ne montrait pas. Tout au plus portait-il occasionnellement au bureau quelque fruit de son labeur.
« Monsieur Sender » a toujours été compréhensif avec un inculte comme moi. Et patient. Il paraît qu'il l'était aussi avec des élèves pâtissiers. Quand il pouvait, il m’expliquait. S’il n’avait pas le temps, je lui faisais une copie de ce dont j’avais besoin, lui laissais sur un coin de son bureau, et soit je recevais la réponse par télécopie, soit il m’expliquait la fois d’après, selon l’urgence, selon le degré de pédagogie que cela impliquait aussi. Car rédiger un ouvrage culinaire pour un autre (quand on est nègre), ça va. Mais parler de desserts quand on ne comprend pas le sucré… ça craint.
Il m’a aussi appris la cuisson du sucre. Les termes techniques et leur application. Car gamin j’avais un peu appris, mais adulte jamais pratiqué. On a beau dire que ça ne s’oublie pas, il faut un minimum de pratique, ou un maximum de théorie… Et encore faut-il pour cela aimer faire des gâteaux ou des confiseries. Et, je l’ai déjà dit : je n’entends rien au sucré.
Il arrivait que le téléphone sonne à la bibliothèque de Thiverval et que, mi-excité comme un gamin, mi-dépité de ne pas pouvoir me rendre service, il me demande de prendre congé, parce que « c’était la maison Lenôtre : j’ai une commande ». Lui qui me disait avoir travaillé pour la Couronne britannique, fait le gâteau de mariage du roi Baudoin et plusieurs voyages au Japon se passionnait subitement pour une simple commande parisienne. « Toute ma vie je resterai un apprenti », disait-il. Dans ces cas-là, on se sent petit. Pourtant, à cette heure, ce que l’AFP retient de lui est le gâteau de mariage de Lady Di. Sans doute pas ce qui l'a le plus marqué en près de soixante ans de travail.
« Monsieur Sender » était « Ouvrier de troisième catégorie » (*), l’équivalent belge du Meilleur ouvrier de France. Totalement français de cœur, il était membre de L’Académie Culinaire de France, officier des Arts et des Lettres, et officier du Mérite Agricole. Il n’aimait pas qu’on le surnomme « pâtissier des rois », comme cela est rappelé sur cette fiche de l’Ordre culinaire international, où il apparaît terriblement affaibli par la maladie. Je l’ai toujours connu malade, et ne m’offusquais pas s’il décommandait un rendez-vous, malgré les kilomètres qui nous séparaient : j’en reprenais un autre en évitant les horaires délicats du triangle de Rocancourt, et autres joyeusetés de la circulation francilienne.
Mardi 21 juillet, des cuisiniers et des pâtissiers doivent rendre un hommage à Sender Wayntraub, de 13h30 à 14h00 à la maison funéraire de Plaisir. Une cérémonie religieuse se tiendra ensuite en l'église de Saint-Martin, à Beynes (Yvelines). L’inhumation suivra au cimetière de Thiverval-Grignon,dans le caveau familial, précise le faire-part.
Aux proches de « Monsieur Sender », que j’ai peut-être dérangé occasionnellement au téléphone voici une quinzaine d'années, je présente mes plus sincères condoléances.
Fabien Abitbol
(*) que les lecteurs belges veuillent bien me pardonner si le titre est approximatif, de mémoire, si longtemps après…
è Gaston Lenôtre, par SG Sender (sur Saveur Passion, 9 janvier 2009)
Ajouts de 16h30 :
è Une biographie rédigée par Marcel Fraudet. Cuisinier indépendant à la retraite, Marcel Fraudet explique les origines familiales de SG Sender, ainsi que le cheminement de la bibliothèque, dite « fonds Sender », hélas placée en situation de faillite financière.
è Un témoignage de Philippe Gardette. Président du récent Ordre culinaire international, Philippe Gardette a fait la connaissance de SG Sender en 1995 et est devenu l'un de ses proches.
è Le décès a été annoncé samedi peu après 11h à Paris par Le Figaro et à Singapour par The Straits Times.
C'est un très beau texte d'hommage et un éloge funèbre fort humble ; mais digne du roi des pâtissiers. S'il refusait le titre de "pâtissier des rois", peut-être pardonnera-t-il celui de roi des pâtissiers.
Et peu importe de ne pas s'entendre au sucre. La plupart des plats sont salés ; parfois autant que la note mais peut-être que certains se sucrent sur le client. Pardon, mais sans vouloir repasser le plat, le jeu de mot était facile ; c'était même du gâteau. Alors faire chou blanc aurait été aussi impardonnable que raté sa mayonnaise...
Rédigé par : Tita | 28/07/2009 à 22h53