Le téléfilm proposé ce soir par France 3 est une adaptation de ce roman autobiographique de Serge Moati (Fayard, 2003, 386 pages), considéré par Khalifa Chater, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tunis, comme « une reconstitution affective de la vie tunisoise », de 1903 à 1957. Des extraits ont été distillés sur France 5 le 11 mai dans le documentaire Bons baisers… de La Goulette, dont une rediffusion est annoncée dans la nuit du vendredi 5 au samedi 6 juin, à 00h50, sur France 5 numérique.
« Bons baisers… de La
Goulette » présentait les « Juifs tunes » de Paris, des quartiers de Belleville, du
Sentier, du Faubourg-Montmartre… ou de Sarcelles. Il montrait que leur vie,
pour beaucoup restait attachée aux racines tunisoises, avec la nostalgie d’un
paradis perdu, que certains des témoins avaient quitté lors qu’ils n’avaient pas
dix ans (les personnes rencontrées avaient 50 à 75 ans approximativement). Ils
se souvenaient, idéalisaient parfois, leur enfance ou leur jeunesse au bord de
la mer, à La Goulette, en périphérie de Tunis, où ils étaient bercés par la
douceur de vivre et l'odeur du jasmin, sans distinction, ou presque, entre
musulmans et juifs, les chrétiens étant rares. Ce jusqu’aux événements du 5 juin 1967 et l’incendie de la Grande synagogue de Tunis.
C’était le début de la Guerre des Six jours, et de l’exode de beaucoup. Des souvenirs qui constituent
un véritable ciment entre ces « exilés »…
depuis toujours attachés à la France.
Serge
Moati avait retracé, dans le livre « Villa Jasmin », le portrait de son père,
journaliste, socialiste, résistant, indépendantiste… et juif tunisien,
disparu quand il était enfant. Le réalisateur Ferid Boughedir en a tiré un film
plein de tendresse. « Je voulais être à la fois historiquement juste et
poétiquement juste. Je voulais qu'il y ait de l'amour dans tout le film »,
affirme-t-il. C’est son premier téléfilm, et Serge Moati, rompu à la
télévision, salue un « émouvant travail de re-création » et assure qu'il a
découvert cette réalisation avec un « mélange de plaisir et de souffrance ».
La
fiche technique et l’histoire sont à découvrir sur le site de la production, et la bande annonce est là.
Villa
jasmin
France
3 (téléfilm inédit, 90 minutes)
Samedi
30 mai à 20h35
è Le téléfilm a été présenté en première mondiale, en janvier 2008, au festival new-yorkais du film
juif. Il y avait cette année-là quatre fictions françaises. En juin 2008, il faisait le Festival de Seattle… Pour la France, il a fallu attendre pour le voir en avril 2009 à Paris, au Mémorial de la Shoah.
Plusieurs remarques me viennent à l'esprit après la diffusion du superbe film de Férid Boughedir.
D'abord d'un point de vue historique : le décret Crémieux de 1870 donne la nationalité française « aux indigènes israëlites des départements d'Algérie » et, contrairement à ce que semble croire un des personnages, pas aux Tunisiens ni aux Marocains qui, en 1870, ne dépendaient pas de la France. En Tunisie donc, à l'époque où se situe l'histoire, les juifs de Tunisie étaient presque tous tunisiens ou français ou italiens ; tout au long du XIXème siècle une lutte d'influence - qui prit fin avec le traité du Bardo (1881) instaurant le protectorat français - faisait que les consuls de France et d'Italie distribuaient des patentes de protection qui débouchaient sur la naturalisation à plus ou moins long terme. Ainsi mon grand-père paternel né vers 1855 était-il protégé français ;les aînés de ses fils s'engagèrent pendant la Grande guerre et, à leur retour, furent naturalisés français suivis par leurs cadets dont mon père ; du côté maternel, mon ascendance était tunisienne.
Après la guerre de 1939-45 l'exode des juifs se fit en trois grandes vagues suivant l'indépendance (1955), la bataille de Bizerte (1961), la Guerre des Six-jours (1967).
On aperçoit dans le film, à des moments différents bien sûr, deux résidents généraux : Peyrouton, hargneux, semblant vouloir mordre Serge Boccara, et me revient en mémoire une histoire personnelle racontée par l'historien Salah-Eddine Tlatli (le père de Moufida qui a monté Halfaouine, l'enfant des terrasses, de Boughedir, et réalisé Le Silence des palais) : demandant, après son bac en 1935, d'aller en France faire des études d'histoire il se vit répondre par le dénommé Peyrouton : « je ne permettrai jamais à un Tunisien d'enseigner leur histoire à de petits Français ». Cet individu est mort presque centenaire longtemps après sa période de collabo.
Le second résident général, Estéva, amiral dégradé, aurait pu mourir « de douze balles dans la peau », comme aurait dit le Général de Gaulle ; condamné à mort par contumace par le Conseil de Guerre, il fut arrêté quelques années plus tard et, après une nouvelle condamnation à mort en 1945, il fut grâcié car, en 1942, juste avant l'entrée des Allemands à Tunis. Il avait eu la bonne idée de faire libérer des geôles des prisonniers politiques gaullistes et communistes. Comme quoi, cela peut servir de prévoir la défaite de son propre camp !
Excusez la longueur de mon intervention mais ce film raconte (de manière remarquable) des évènements qui m'ont marqué, j'avais huit ans au début de l'occupation allemande, j'ai vu l'appartement familial réquisitionné pour loger des officiers de la Kommandantur.
Encore une fois bravo à Serge Moatti et bravo à Férid Boughedir !
Rédigé par : armanddukram | 31/05/2009 à 14h54