Jean-Louis Fournier lauréat de ces dames
Le jury du prix Femina a décidé ce lundi d’accorder sa récompense au roman de Jean-Louis Fournier, habitant du 20e arrondissement de longue date, pour « Où on va papa ? » (Stock, paru le 20 août), émouvant ouvrage dans lequel il évoque avec le sourire qu’on lui connaît ce qu'a été sa vie avec ses deux garçons lourdement handicapés. Après Entre les Murs, palmé à Cannes en mai dernier et présélectionné pour les Oscars, le 20e arrondissement est une fois de plus à l’honneur, avec un sujet grave, mais traité avec un minimum d’humour. Dans trois semaines, l’ancien collaborateur de Pierre Desproges sera récompensé à Cluny. Et pas avec du vin de messe… Etonnant, non ?
Originaire d’Arras, Jean-Louis Fournier avait accordé un entretien sur son livre bouleversant à La Voix du Nord, fin septembre, cinq semaines après la sortie de son 24e livre. On savait qu’il maniait l’humour, soit avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics, soit avec l’excellent Les mots des riches, les mots des pauvres. Voici une douzaine d’années, il y avait eu la savoureuse Grammaire française et impertinente, sortie en format poche en 1999… Sans compter les collaborations (nombreuses) audiovisuelles… que l’on peut faire remonter jusqu’à Pierre Desproges, dont il était familier. Près de cent épisodes de La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède sont disponibles dans les archives de l’INA (une petite sélection se trouve ici). Il se dit qu’il est l’auteur de l’annonce officielle du décès de l’humoriste, en avril 1988, rectifiant l’annonce que son épouse, Hélène Desproges, s’apprêtait à faire, ce afin d'éviter un éventuel procès.
A près de soixante-dix ans, cet auteur à l'imagination infinie et à l’humour grinçant, a créé une sacrée surprise dans cette « rentrée littéraire » avec cet ouvrage de 150 pages adressé à ses deux fils, Mathieu et Thomas, lourdement handicapés. Le bouche à oreille a plus que bien fonctionné et le public a sauté sur ce livre, comme on sauterait sur un Nothomb… faisant de « Où va-t-on papa ? » (également sélectionné pour le prix Goncourt) l’une des meilleures ventes de l’automne. Plus de 100 000 exemplaires ont déjà été édités, du livre de notre voisin. Et le Femina 2008 peut laisser présager d’autres ventes (peut-être un retirage ?), à l’approche des fêtes de fin d’année, ou par curiosité.
Dès le 28 juin, deux mois avant sa sortie, on trouvait un (court) extrait de son livre sur le blogue Persona Grata… très grata !, qui traite à sa façon du handicap mental.
En 2003, Jean-Louis Fournier avait été le président du concours de nouvelles Ecrivains 20 (deuxième édition du concours de nouvelles du 20e arrondissement), dont j’avais l’honneur d’être membre du jury. Malheureusement, entre mes occupations professionnelles de l’époque et quelques soucis de santé, je n’avais pas eu le temps de noter les (il me semble) 57 copies, mais à peine plus de la moitié, et n’avais pu me joindre aux délibérations du jury. Une occasion manquée pour rencontrer cet homme qui m'avait, par exemple, ré-appris la conjugaison des verbes du premier groupe à sa sauce.
Mais l’aventure Fournier ne s’arrête pas là… Outre l’attente des résultats du Goncourt, le prix 2008 du Livre d’Humour de Résistance a été attribué à Jean-Louis Fournier le 25 octobre et doit lui être officiellement remis le 22 novembre à Cluny, ainsi que l’a confirmé par téléphone Etienne Moulron, président-fondateur de la Maison du rire et de l’humour de Cluny.
Ce prix, qui lui sera officiellement remis 22 novembre à 11h30 en La Maison de l’Humour et du vin, à Cluny, « est destiné à récompenser des personnes physiques ou morales dont l’état d’esprit, l’attitude et le comportement, directement ou indirectement, face à une situation de pression forte, d’oppression ou de tentative de soumission contre leur gré ou celui des personnes qu’elles assistent, que celle-ci soit à caractère politique, militaire, socioculturelle, économique, psychologique ou physique, auront manifesté, témoigné et exprimé fondamentalement, irréductiblement et de manière permanente une résistance obstinée essentiellement activée, véhiculée, exprimée et soutenue par l’humour, le sens de l’humour, la dérision et le rire dans toutes leurs dimensions et champs, le tout porté par une ferme volonté de renverser cette situation ou du moins d’en atténuer les effets et les causes , sinon de les supprimer irrémédiablement ». Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle, mais que Jean-Louis Fournier est capable, il l'a montré, de relever avec finesse.
Fabien Abitbol
⇒ Pour ré-écouter le témoignage de Jean-Louis Fournier, début octobre, sur Europe 1, cliquer ici, puis sur l’icône à gauche sous « Plus d’infos ».
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Présentation de l'éditeur« Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l ai jamais fait. Ce n était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures…Jusqu à ce jour, je n ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J avais honte ? Peur qu'on me plaigne ?
Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c'était pour échapper à la question terrible : « Qu'est-ce qu'ils font ?
Aujourd hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j ai décidé de leur écrire un livre.
Pour qu on ne les oublie pas, qu il ne reste pas d eux seulement une photo sur une carte d invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n ai pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux, il fallait une patience d ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d'une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler d eux avec le sourire. Ils m ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j ai eu des avantages sur les parents d enfants normaux. Je n ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Nous n avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu ils feraient plus tard, on a su rapidement ce que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j ai bénéficié d une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j'ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
Jean-Louis Fournier
Pour la première fois dans son œuvre, Jean-Louis Fournier parle de ses garçons, pour ses garçons. Parce que le temps presse et qu il faut dire autrement. Dire autrement la question du handicap, sans l air contrit ou la condescendance. Comme il l a fait en 1999 en évoquant son père, Jean-Louis Fournier conserve, pour ce nouveau roman, l équilibre maîtrisé entre le drôle et la désespérance.
Où on va papa ?
STOCK, coll. Bleue, 150 pages
ISBN : 2234061172
Prix France TTC : 18,00 €
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