En Israël, face à l’évidence de la dégradation de son image dans le monde, la réponse est toujours la même : c’est la faute d¹une communication mal faite. Ah, si seulement le monde nous comprenait mieux, dit-on souvent, il saurait que nous aussi sommes des victimes. Or, dans cette course à la victimisation, le problème, c’est que plus on « explique », moins cela marche. Preuve qu’il ne s’agit ni d’explication, ni de communication, mais bien de politique. Et plus cela dure, plus le danger se rapproche. Sur à peu près le même sujet, David Grossman avait publié, voici déjà trois ans, Le prix de la victimisation…
La présentatrice de la BBC se pencha vers le maire de Sderot Eli Moyal, venu à Londres en mission de relations publiques (c’est-à-dire pour faire un show victimaire qui puisse se comparer à celui des Palestiniens). « Alors, qu’en dites-vous ? », demanda-t-elle sur le ton didactique réservé aux interviewés du tiers-monde, « le monde entier a tort, et vous seul avez raison ? »
Elle répéta cette question rhétorique plusieurs fois, comme par habitude, sans expliquer en quoi le monde avait « raison » sur le Hamas et les Qassam, et sans écouter ce que Moyal disait. Moyal, pour sa part, continuait à faire le compte des milliers de roquettes tombées sur Sderot, en particulier depuis le « désengagement ». Lui aussi avait sa question rhétorique, posée encore et encore (« Pourquoi tirent-ils ? »), s’accrochant ainsi à la seule branche qui nous reste depuis le « désengagement » (« Nous n’occupons plus Gaza »). Ce fait, par ailleurs techniquement exact, semblait échapper à la journaliste, et ainsi au « monde entier ».
Globalement, l’interview n’était pas particulièrement hostile, et Moyal s’en est plutôt bien sorti. Mais c’est exactement la raison pour laquelle il y avait quelque chose de touchant dans cette propension israélienne, ô combien familière et usante, à manifester cette « conviction profonde de notre bon droit et d’un désespoir non moins profond de devoir l’expliquer à chaque fois. » Car, après tout, il s'agit de l'impasse dans laquelle Israël s’est placée depuis des dizaines d'années, sans considérer ses actes ni ce qui s’est passé dans la région.
Non moins constante est cette rhétorique sophistiquée et emberlificotée de nos relations publiques à l’étranger, où le mot « mais » joue un rôle central : « Je veux bien parler même au diable, et pas seulement avec le Hamas », dit Moyal, avant de revenir à la technique de communication officielle : « Mais comment parler avec quelqu’un qui veut vous éradiquer ? » Ici, nous observons de nouveau un gambit audacieux, du genre de ceux que nous utilisons depuis 40 ans sur tous les fronts, en même temps que nos nombreuses opérations militaires « couronnées de succès » (« Nous voulons bien parler à la Syrie, mais »).
Tous ces efforts d’Israël pour mener une politique étrangère rationnelle débouchent régulièrement sur une impasse : plus il lui semble être la victime et celui qui a raison, plus il apparaît au monde comme un pays cruel et agressif. Et il en est arrivé là, principalement, à cause d'une atrophie de ses principes et d’actions militaires effectuées comme si elles ne résultaient que d’un état d’inertie. Il ne s’agit plus là de relations publiques. Au contraire, même. Peut-être est-ce justement à cause de sa croyance magique dans la capacité des mots à expliquer et justifier toutes ses contradictions qu’Israël ne peut plus discerner ce qu’il communique au-delà des mots.
Ne comprend-on pas que, plus le conflit devient chronique et incurable, moins ces nuances dans la communication israélienne sur la question de savoir qui a raison de reprendre le cercle vicieux et sanglant sont pertinentes ? On peut poser la même question quand on évoque un vieux compte à régler entre une unité d’infanterie israélienne et telle ou telle organisation palestinienne, ou un bombardement datant de 10 ans puni par l’assassinat de quelqu’un dont on détruit également la maison, que nous payons par un petit round guerrier supplémentaire.
Car, entre-temps, alors que nous déclamons notre bon droit ainsi que la méchanceté et l’obstination de nos ennemis, le temps passe. Sans presque l’avoir remarqué, nous nous trouvons embarqués dans le même baiser de la mort que nos ennemis et nous plongeons ensemble dans le même précipice, avec la même mentalité qui caractérise les gangs : « honneur », « se faire justice », « régler un compte ».
Même lorsqu’il semble « juste » de régler un vieux compte bien sanglant, dans le cadre de cette même perspective « pédagogique » qui, de toute façon, nous revient régulièrement dans la figure comme un boomerang, où cela nous mène-t-il, pratiquement, moralement, et sur le plan de notre image ? Un KO en image est suivi d’un attentat, puis de représailles, et Israël et la Palestine se mêlent en un même magma dégoûtant. Et la répugnance à l’égard d’Israël se renforce, peut-être précisément parce qu’on en attend encore un petit quelque chose.
L’adage « mieux vaut être intelligent qu’avoir raison » n’a jamais été aussi vital pour Israël. Nous n’avons pas besoin d’une autre « réussite » sur le champ de bataille, ni d’un « triomphe » en termes d’image, mais d’une sortie rapide du cycle du sang, par un cessez-le-feu, ou un accord raisonnable quelconque, qui stoppera au moins la glissade vers le néant.
Car autrement, le jour n’est pas loin où l’on nous demandera, non pas ce que nous faisons à Gaza et à Naplouse, mais ce que nous faisons à Sderot. Euh, attendez une seconde, pourquoi écrire « le jour n’est pas loin » ? Ce fut précisément l’une des questions posées à Moyal par la BBC cette semaine.
Doron Rosenblum, pour le Ha’aretz du 21 mars 2008, version anglaise ICI.
Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
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