Le blogue des municipales de Paris Obs publie l’intégralité du premier bilan de l’aménagement du boulevard de Magenta (10e arrondissement), dont le résumé est ici.
Sous la plume de Lise Martin, le supplément francilien du Nouvel obs publie l’intégralité du sujet.
La transformation du boulevard du 10e en « espace civilisé » : réussite ou catastrophe ? Les usagers se plaignent, mais une étude chiffrée en dresse un bilan plus contrasté.
« Si vous voulez une autocritique, vous serez déçus. Je suis fière de cet aménagment, et je le défends. » La réplique est signée Charlotte Nenner, adjointe Verte chargée des transports à la mairie du 10e. L'objet de la discussion : le premier bilan de l'aménagement du boulevard de Magenta réalisé par les services de la mairie de Paris, l'Apur et la chambre de commerce. Du sérieux. Les résultats sont contrastés. Côté satisfaits, on trouve les piétons, en majorité. En face, les opposants se recrutent chez les automobilistes, insatisfaits à 86 %.
Petit rappel : longtemps considéré comme une « autoroute urbaine » (2 km de long entre République et Barbés), le boulevard a été réaménagé sous l'ère Delanoë en « espace civilisé » entre juillet 2004 et mars 2006. Depuis, la plupart des automobilistes le jugent impraticable : deux voies de circulation ont été supprimées, - une dans chaque sens - pour élargir les trottoirs et y placer une piste cyclable. Contrairement aux automobilistes, Charlotte Nenner y voit une réussite : « La circulation automobile a été réduite de 50 % par rapport à 2004 ! Et la vitesse moyenne est de 11,7 km/h, ce qui en fait une voie chargée, mais pas embouteillée. » Sauf sur la portion entre Barbés et le boulevard de Strasbourg dans le sens descendant : selon l'étude, les voitures avancent à seulement 9,6 km/h (6,3 en décembre 2006).
Jean-Marc, commercial, se lamente : « J'ai essayé plusieurs itinéraires pour contourner, mais ils m'éloignent trop. » L'œil rivé sur le trafic, il ajoute : « Les couloirs des bus et des bagnoles, c'est un casse-tête ; ça change tout le temps ! » Ici, les bus longent le trottoir. Là, ils passent au milieu, « pour tourner vers la gare du Nord par exemple », Justifie Charlotte Nenner. « C'est du délire, commente Aude, une étudiante riveraine. Les gens se trompent et se font klaxonner. » A quelques pas de son arrêt de bus, le chauffeur d'une Fiat immatriculée en Corse circule dans la voie RATP. Visiblement perplexe, il tourne la tête dans tous les sens. Et se fait dépasser par une moto. Qui n'a pas à être là non plus. C'est un autre des enseignements de l'étude : sur Magenta, un tiers des deux-roues motorisés roule dans les couloirs et presque un sur deux, entre le boulevard de Strasbourg et Barbés. « Moi, j'ai décidé d'oublier cette artère, raconte Anna, elle-même conductrice de scooter. Pour descendre vers République, j'emprunte le canal Saint-Martin ; au retour, je passe par les Grands Boulevards. »
Nombreux sont les conducteurs qui se concoctent un itinéraire bis. Mais alors, qui reste-t-il sur le boulevard ? Observez les plaques d'immatriculation, suggère Yvan Stefanovitch dans son livre « Bertrand le magnifique » (Flammarion) : on voit défiler presque deux fois plus de banlieusards (en majorité des camionnettes) et de provinciaux que de Parisiens ! Restent donc ceux qui ne connaissent pas. Et ceux qui n'ont pas le choix, les livreurs. « Je perds un temps fou au volant, bougonne Alain, dans sa fourgonnette. Une fois à l'arrêt, c'est pire. » La livraison de légumes au marché Saint-Quentin prend parfois les allures d'un ballet confus sur le trottoir où circulent aussi les vélos. « Voyez, j'ai mis des cageots au sol pour signaler aux cyclistes que je suis en train de décharger, mais rien n'y fait. Je viens de me faire engueuler. » A côté, Sylvain opine : « La semaine dernière, un vélo m'a fait valdinguer, et mon cageot de pommes de terre avec ! »
La piste sur le trottoir fait aussi râler les cyclistes : « Malgré la sonnette, les piétons restent en travers. Alors je slalome », ronchonne Thomas, perché sur son Gazelle. Les piétons ? Ils rouspètent de concert. Isabelle traverse tous les matins pour amener son fils à l'école : « Les trottoirs élargis, les arbres replantés, c'est bien. Mais je me fais toujours des frayeurs en traversant, à cause des cyclistes. Il est même arrivé que je me fasse injurier ! » Dans l'étude, les conflits vélos-piétons ne sont pas comptabilisés. Mais Charlotte Nenner reste confiante : « C'est un apprentissage, les piétons respectent de plus en plus la piste. Et le nombre de vélos a augmenté de 150 % depuis l'aménagement. Le bilan est positif. » Et le facteur rencontré près de Barbès, qui dit perdre un quart d'heure sur sa tournée le matin ? Et la patronne de ce bistrot gare du Nord qui arrive une heure plus tôt pour ne pas être bloquée dans l'embouteillage ? Et Monique, 77 ans, qui rase les murs par peur des bicyclettes ? « C'est l'effet Magenta, répond l'élue Verte. Les gens se sont monté la tête, répètent que c'est la catastrophe. Et ne voient pas les résultats qui sont plutôt bons. » Sur la pollution, les chiffres lui donnent raison : diminution de 50 % des émissions d'oxyde d'azote, de 56 % des particules... Idem sur le bruit, avec une baisse de 2 décibels la journée et de 4 la nuit, « l'équivalent du gain obtenu avec un double vitrage ». Pourtant, plus des trois quarts des piétons interrogés se disent insatisfaits des niveaux de bruit et de pollution… L'élue du 10e soupire : « J'arrive avec des chiffres, mais tout le monde s'en fout et s'en tient à son ressenti. C'est difficile, car le débat est passionnel. » Les candidats aux municipales s'en sont saisis. Françoise de Panafieu estime qu'il faut « avoir fait l'Ena » pour savoir dans quelle voie rouler, et veut détruire « les murets dangereux ». Côté MoDem, on voudrait rapatrier les cyclistes dans les couloirs de bus. Quant à Bertrand Delanoë, même s'il juge le loupé moins grave que sur Saint-Marcel, il n'en classe pas moins Magenta dans les « ratages » des aménagements de voirie. « Que Delanoë n'assume pas, je trouve ça nul, commente Charlotte Nenner. Mais je persiste : pour moi, Magenta n'est pas un échec, c'est un exemple. »
Lise Martin, pour Paris Obs
⇒ Des éléments de bilan sur le site de le mairie du 10e
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