Scandale d’État
Affaire Clearstream. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Les suites des rivalités pré-présidentielle entre lui et Nicolas Sarkozy.
« Watergate à la française ». C’était il y a quelques mois. Depuis, l’affaire « Clearstream », et particulièrement son volet politique, se serait quelque peu émoussée : Dominique de Villepin n’est plus concurrent de Nicolas Sarkozy. N’empêche. Bien que prévisible, la foudre s’est abattue hier sur le paysage politique français avec la mise en examen de l’ancien Premier ministre pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance, complicité d’usage de faux », prononcée par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons. Avec contrôle judiciaire, caution de 200 000 euros et interdiction de rencontrer Jacques Chirac. Entré sur convocation à 10 heures, Dominique de Villepin est ressorti des bureaux du pôle financier du tribunal de Paris 50 minutes plus tard. Il aurait, a-t-il dit, refusé de répondre aux questions des deux magistrats dans « l’attente de prendre connaissance du dossier », selon ses avocats. Il a simplement réitéré devant la presse une ligne de défense qui n’a pas convaincu la justice : « À aucun moment, je n’ai demandé d’enquête sur des personnalités politiques, à aucun moment je n’ai participé à une quelconque manoeuvre politique. »
Querelle d’hommes, mais aussi politique et idéologique
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Iznougoud rencontre Chirac,
Par Goscinny et Tabary,
© Dargaud, 1974.
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« Nous sommes différents mais nous sommes unis », avait dit Nicolas Sarkozy lors de son retour au ministère de l’Intérieur en juin 2005. En petit comité, il expliquait ce retour - conçu par Jacques Chirac et Dominique de Villepin pour piéger le candidat à l’Elysée en le forçant à mettre les mains dans le cambouis des affaires courantes - par un souci d’y voir plus clair sur les origines des mauvais coups qui se préparaient à son encontre. Notamment l’affaire Clearstream. Pour comprendre, il faut situer le contexte. Il est celui de la succession de la chiraquie sans Jacques Chirac au pouvoir alors que Nicolas Sarkozy échafaude depuis des années un canevas lui permettant une posture de rupture et de continuité à droite, dont l’engagement auprès d’Édouard Balladur à la présidentielle de 1995 n’est qu’un des épiphénomènes ratés. Depuis, les couteaux sont sortis entre le locataire de l’Elysée et le calife qui veut être calife à la place du calife [lire à ce sujet cette page de Actua BD avec des dessins de Tabary et Goscinny remontant à… 1974, note du ouaibemaître]. Querelle d’hommes, mais aussi politique et idéologique, entre une vieille droite inspirée d’un gaullisme bien altéré et celle plus réactive à l’adaptation libérale du système politique, social et économique que réclament une partie des milieux financiers. Reste qu’entre Jacques Chirac qui, en connaisseur, ne pardonne pas la trahison de 1995 et Nicolas Sarkozy, la guerre est déclarée, l’objectif du premier étant de barrer la route au second. Alain Juppé, fils spirituel, étant hors course pour avoir, seul, assumé les responsabilités du système chiraquien de financement du parti, il ne reste plus à Jacques Chirac qu’à sortir son ultime joker : le fidèle Dominique de Villepin. Entre Dominique Marie François René de Galouzeau de Villepin et Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa, tous les coups tordus sont dès lors à craindre, dans une ahurissante dramaturgie cynique, avec pour théâtre le plus haut sommet de l’État. Prudence et duplicité pour le second, en particulier dans le dossier du contrat premières embauches où il laissera Dominique de Villepin s’entêter au point de sortir battu et défait d’un conflit social où la mesure rejetée massivement par la rue avait pour essentielle ambition de disputer, au prix d’un risque mal calculé, le leadership auprès des milieux d’affaires et patronaux.
L’histoire nous dira qui a manipulé qui
C’est dans ce contexte qu’éclate l’affaire Clearstream. L’histoire dira qui a manipulé qui. Pour l’heure, la plus grande habileté n’est pas à mettre à l’actif de Dominique de Villepin qui aurait, semble-t-il, sauté sur l’occasion de ternir l’image blancheur persil du prétendant. Le tout sur fond occulte de barbouzeries en tous genres où les deux personnages, après l’un et l’autre un passage au ministère de l’Intérieur, pouvaient se prévaloir de réseaux aussi discrets qu’opaques. Bien que gagnant, Nicolas Sarkozy ne fera preuve d’aucune mansuétude pour les chiraquiens. On s’interrogera d’abord sur son rôle dans la défaite électorale d’Alain Juppé aux législatives de Bordeaux, qui éloigne à nouveau pour longtemps l’ancien premier ministre de la scène nationale. On constatera que la mise en examen de Dominique de Villepin est directement liée aux nouvelles informations fournies à la justice seulement fin juin par le général Rondot. Et on se laissera aller à penser que Jacques Chirac lui-même, dont la connaissance de l’affaire ne fait aucun doute, pourrait être directement rattrapé par l’enquête. Au-delà de ce volet nauséeux, reste le fond d’une affaire juridico-financière qui, elle, semble n’intéresser personne : une gigantesque lessiveuse d’argent sale en provenance de commissions occultes sur la vente des frégates à Taïwan en 1991 [Lire à ce sujet le dossier actualisé de Paradis fiscaux et judiciaires, note du ouaibemaître].
Dominique Bègles, L’Humanité du 28 juillet 2007
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