Par Jean-Louis Fournier, écrivain
Chère Cibiche,
Il va falloir se quitter. A partir d’aujourd’hui, il ne faut plus qu’on nous voie ensemble dans les lieux publics. On pourra toujours se voir en douce, mais combien de temps encore ? Bientôt on devra se quitter définitivement. Parce que fumer tue, turlu tue tue.
Ce sont les savants qui le disent. Quand on sait que l’armée distribuait aux poilus de la guerre de 14-18 des rations quotidiennes de tabac, on comprend maintenant pourquoi les cimetières militaires sont si grands. L’anti–fumeur a déclaré à son petit garçon que dans les cimetières, il n’y a que des fumeurs. La cigarette est dangereuse, a déclaré l’anti-fumeur, surtout quand on la fume du mauvais côté, le bout allumé dans la bouche. L’anti-fumeur prétend que la nicotine rend bête, pourtant il ne fume pas.
Fumer tue, turlu tue tue, c’est écrit dans les débits de tabac. A côté de mon débit de tabac , il y a un armurier. Je regarde sa vitrine, il a des armes anciennes, des fusils, des révolvers, des cartouches, tout ce qui tue. Pourquoi ici, il n’est pas marqué “tue”, comme sur ma cartouche de cigarettes ?
Fumer tue, turlu tue tue. Un désespéré qui souhaitait se supprimer a acheté une cartouche de cigarettes portant la mention : “Fumer tue.” Il les a fumées toutes, il n’est pas mort. Il va attaquer la Régie des tabacs pour publicité mensongère.
Tout est bien. On va pouvoir à nouveau sortir nos enfants sans risquer de croiser un fumeur
exhibitionniste qui se promène la cigarette à l’air. Et demain, on pourra respirer à nouveau. Le ministre de l’Intérieur va refuser le droit d’asile aux étrangers qui fument. Demain, les carottes des débits de tabac vont être remplacées par des têtes de mort, rouges. Demain, un fabricant de cercueils va proposer des fumoirs individuels. Ils reprendront la forme du cercueil, et seront équipés d’un système de ventilation et d’un éclairage intérieur. Demain, on pourra dénoncer les fumeurs. Une boîte aux lettres discrète sera à votre disposition dans toutes les mairies.
Après la Journée sans tabac, le gouvernement prévoit la Journée sans alcool, la journée sans sucre, la Journée sans graisse. En attendant la journée sans rien. Demain, on va tous être en bonne santé. A force de vouloir nous empêcher de mourir, on va finir par nous enlever le goût de vivre. Adieu cibiche.
Tribune publiée dans Métro du 1er février 2007, à l'occasion de l'entrée en vigueur de la dernière loi anti-tabac.
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Très attaché à Belleville et au 20e arrondissement (il a été en 2003 le président du jury du concours de nouvelles organisé par la mairie du 20e), Jean-Louis Fournier a collaboré autrefois avec Pierre Desproges à La Minute nécessaire de M. Cyclopède. Ami de l'humoriste qui repose au Père-Lachaise, il est l'auteur de la fameuse dépêche « Pierre Desproges est mort d'un cancer. Etonnant, non ? » Il a publié de nombreux ouvrages à caractère à la fois sérieux et didactiques comme « Grammaire Française impertinente » ou « Je vais t'apprendre la politesse », adapté par France-Télévisions en très courts modules, dont on peut retrouver l'idéologie là; cette série était interprétée par Catherine Frot et a été diffusée pour la première fois sur La Cinquième à l'occasion des fêtes de fin d'année 2000.
Plus Récemment, il a publié « Les Mots des riches, les mots des pauvres », dont on peut lire la critique du magazine Lire ICI.
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