Guy-André Kieffer habitait le 20e…
Depuis 1 000 jours, nous n’avons pas de nouvelles de notre voisin le journaliste économique Guy-André Kieffer, enlevé sur le parking d’un supermarché d’Abidjan (capitale économique de la Côte d’Ivoire), le 16 avril 2004 vers 13h15. Il avait rendez-vous avec Michel Legré, un beau-frère de Simone Gbagbo, épouse du président ivoirien Laurent Gbagbo. Il enquêtait entre autres sur l’argent de la filière café-cacao et sur des ventes d’armes.
Installé depuis 1980 dans le 20e, Guy-André Kieffer est marié à la journaliste-réalisatrice guadeloupéenne, Prix 2004 RFO, Osange Silou, qui se bat depuis toujours pour connaître la vérité. Osange et Guy-André ont une fille, Canelle, aujourd’hui âgée de vingt ans.
Guy-André, journaliste spécialiste des matières premières et notamment de la filière cacao-café, (surnommé GAK par ses confrères et Gunther par ses proches) a travaillé pendant 18 années à « La Tribune » (de 1984 à 2002), quotidien qui a peu parlé de l’événement, même si une partie de sa rédaction s’est mobilisée et a annoncé dans son édition du 30 août 2006 que ses « assassins » avaient été « identifiés » (à l’heure actuelle, rien ne prouve qu’il ait été assassiné…). GAK avait auparavant été journaliste quelques années à « Libération ».
En 2002, Guy-André Kieffer a pris un congé sabbatique pour se rendre en Côte d'Ivoire, à la demande du président Gbagbo, élu en 2000 (après un exil de 1985 à 1988 en France, où il s’était fait beaucoup de relations…). Le président ivoirien souhaitait lui confier une mission d'audit de la filière cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial.
Ayant remarqué, semble-t-il, des malversations dans cette filière, GAK a arrêté de collaborer avec la présidence ivoirienne quelques mois plus tard… Fin 2005, un rapport d'audit de l'Union européenne sur « l'argent du cacao » a démontré le bien-fondé des conclusions auxquelles le journaliste était parvenu, comme le signale « Le Figaro » du 29 août 2006, reprenant une dépêche de l’Agence France Presse. Pugnace, notre voisin journaliste a décidé (malgré des menaces) de poursuivre ses investigations comme journaliste indépendant.
Jusqu’à sa disparition, il a rédigé de nombreux articles bien renseignés et très critiques sur l'économie et les finances de la Côte d'Ivoire, articles qu'il publiait dans la presse ivoirienne sous des pseudonymes divers ou dans « La lettre du Continent » revue française spécialiste de l'Afrique à laquelle il collaborait régulièrement. Depuis sa disparition, cet organe à caractère confidentiel lui a consacré 17 sujets, dont un sur le lobbying parisien auquel se livrait dès la disparition de GAK le ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des finances de l’époque, M. Paul Bohoun Bouabré (qui était déjà en poste lors du lancement de l’Opération Licorne) . La France, qui avait procédé à l’ évacuation d’un journaliste (via la Côte d’Ivoire) blessé au Libéria avait su déployer de gros moyens pour ce photographe d’agence en 2003. Notre pays ne semble pas en faire autant pour la disparition de Guy-André Kieffer… Il est vrai que ses enquêtes lui valaient des inimitiés dans les milieux d'affaires ivoiriens (voire franco-ivoiriens…) et au sein même du gouvernement ivoirien, avec qui la France entretien des relations assez bonnes, malgré l’annonce de la sortie imminente d’un ouvrage signé par « la présidente » Simone Gbagbo qui ne s’annonce pas tendre avec la Chiraquie…
La « Françafrique » est décidément compliquée et un journaliste de « L’Express » vient d’y consacrer un ouvrage.
Le site officiel ouvert en novembre 2005 pour soutenir notre voisin et tenu par son frère cadet Bernard Kieffer indique :
Au cours des mois qui ont précédé cet enlèvement GAK avait notamment travaillé sur les sujets suivants :
- Le financement des ventes d'armes en Côte d'Ivoire
- Le financement des groupes rebelles du Libéria
- Le montage de la Banque Nationale d'Investissement
- Le paiement occulte des salaires de Guinée-Bissau par la Côte d'Ivoire parmi d'autres sujets éminemment sensibles.
Dans les jours qui ont précédé son enlèvement, les personnes qui l'ont cotoyé l'ont décrit comme se sentant directement menacé, traqué. De toute évidence, GAK se savait en danger. Il a néanmoins poursuivi son travail de journaliste sur place, avec courage et détermination, jusqu'à la date fatidique du 16 avril 2004. Depuis ce jour, GAK n'a plus donné aucun signe de vie.
L’enquête judiciaire est double : il y en a une en Côte d’Ivoire, qui a mené entre autres à l’inculpation du beau-frère de Mme Gbagbo pour « assassinat », et une en France, menée par deux juges, dont Patrick Ramaël, pugnace, qui s’occupe aussi de l’affaire Ben Barka et de la mort du journaliste Jean Hélène en Côte d’Ivoire n’est pas particulièrement aidé par les autorités françaises dans cette affaire complexe. Cet été, il était sur la piste d’un ancien capitaine de l’armée ivoirienne…
Du côté de la famille, les rendez-vous au Quai d’Orsay sont rares depuis le changement de gouvernement de juin 2005. Il y en a eu deux. D’où très peu d’ « informations » sont sorties. Une mobilisation de tous est nécessaire.
Le site de soutien à Guy-André vient d’être remanié pour davantage de clarté.
La rubrique événement est ici, la biographie se trouve là, les dernières informations par ici, etc…
Pour déposer un message de soutien à la famille et tenter d’obtenir la vérité sur cette affaire, vous pouvez déposer un message sur ce blogue.
Pour ceux qui n’ont pas accès à l’Internet, il est possible d’écrire à :
Invariance Noire
Soutien à Guy-André Kieffer
55, rue des Prairies
75020 PARIS
Pour en savoir plus sur la Côte d’Ivoire, retrouvez ICI une chronologie de Bernard Conte, universitaire bordelais.
Le site Assassinats de coopérants suit de nombreuses affaires de la Françafrique, dont l’affaire Kieffer. Tenu uniquement par Mariama Keïta, il est régulièrement mis à jour, soit par le biais de reprises de journaux français ou africains, soit par des déplacements, pour les événements se passant en région parisienne. Ainsi, Mariama Keïta était par exemple pour les deux ans de la disparition de Guy-André à la place de la Nation, à l’appel de sa fille Canelle. L’ensemble de son dossier sur la disparition de Guy-André Kieffer (revue de presse, sujets, enregistrements audio, …) se trouve ici.
Pour sa part, lors des deux ans de la disparition de Guy-André Kieffer le 16 avril 2006, François Legendre, du Cenre social de Belleville, m’avait laissé publier un sujet et avait réalisé pour le BelleVilleBlogue une revue de presse intéressante, publiée le 20 avril.
Il paraît pour le moins aberrant de ne parler de ce journaliste qu’une fois par an, au mois d’avril, lors d’un rassemblement devant la Colonne du Trône (trottoir 11e arrondissement), où se trouvent des portraits de Frédéric Nérac et de Guy-André Kieffer. Il y a eu tant de disparitions, d’enlèvement ou d’assassinats que certains ont la fâcheuse manie de passer à la trappe, d’être occultés par les médias… Soit la Côte d’ivoire fait moins « vendre » que l’Irak, soit des intérêts que l’on nous cache sont en jeu… Reste à savoir si le livre de la Première dame de Côte d’ivoire sortira, et ce qu’il contiendra.
Fabien Abitbol
Photos D.R.
Remerciements à Bernard Kieffer pour son sobre message et à André Léger pour son témoignage.
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La presse, ces jours-ci, se fait l'écho de ce point de vue des autorités françaises qui, au retour de l'otage français libéré au Venezuela, « considèrent qu'il n'y a plus désormais qu'une seule otage française détenue à l'étranger, Ingrid Bétancourt ».
Ce point de vue surprendra sans aucun doute tous ceux qui se préoccupent du sort du journaliste français Guy-André Kieffer, enlevé le 16 avril 2004 à Abidjan, alors qu'il enquêtait sur les turpitudes financières du régime ivoirien. Si le Quai d'Orsay ne compte pas Guy-André Kieffer parmi les otages retenus à l'étranger, c'est sans doute qu'il sait ce qu'il est devenu depuis le jour de son enlèvement : la famille et les proches de ce journaliste apprécieraient fortement de savoir à quoi s'en tenir, alors que le Quai d'Orsay n'a cessé de répéter depuis deux ans et demi qu'il n'a aucune information sur cette affaire et qu'il ne peut pas en avoir « du fait de l'instruction judiciaire en cours ».
De ce point de vue, la famille de Guy-André partage le point de vue exprimé ces jours-ci par diverses familles de Français disparus à l'étranger qui ne comprennent pas ce régime des « deux poids deux mesures » qui, dit-on, a conduit à mobiliser, à juste titre sans doute, une centaine de personnes pour la libération de Florence Aubenas et quasiment personne pour les autres Français disparus, enlevés, otages...
Le 5 janvier 2007
Bernard Kieffer, frère de Guy-André
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Lorsque je vivais à la Guadeloupe, où j’étais le correspondant permanent du « Monde », il m’a été conseillé par des camarades guadeloupéens de rencontrer Osange et Gunther. Ce que je faisais presque à chaque fois que je venais en France. Outre le fait que Osange faisait bien la cuisine, je prenais plaisir à passer une soirée rue des Prairies (rien que le nom de la rue m'inspirait, en référence au cinéma, et j'ai ainsi découvert une grande partie du 20e et ses nombreux dédales), où ils venaient de s’installer du fait de la naissance de Canelle en 1986.
Nous échangions des informations. J’étais jeune (14 ans de moins que GAK). Fougueux aussi, comme lui, qui était entré à « La Tribune » depuis deux ou trois ans. Il avait d'excellents contacts sur Paris et un carnet d'adresses qui impressionnait le jeune journaliste fouineur de 23 ans que j'étais. C’était un excellent enquêteur et nous échangions des informations, jusqu’au jour où il me donna des noms à tenter de vérifier dans les paradis fiscaux antillais. C’est ainsi que nous avons travaillé sur ce qui est devenu l’Affaire Péchiney-Triangle… impliquant des proches du président Mitterrand comme Roger-Patrice Pelat ou Alain Boublil, voire le co-fondateur de la FNAC Max Théret. De nombreux prête-noms se trouvaient dans des îles antillaises dans des banques douteuses…
Des informations paraissaient de façon concomitante dans « Le Monde » (un quotidien à l’époque de gauche), « La Tribune » (un quotidien économique et financier de sensibilité plutôt à droite par définition), et « L’Express » (un hebdomadaire de droite), auquel Fabien Abitbol collaborait occasionnellement et dont le chef du service « Enquêtes et investigations » était à l’époque Jacques Espérandieu, actuel directeur de la rédaction du « Journal du Dimanche ».
En avril 2004, alors que j’avais perdu tout contact avec la famille Kieffer, j’ai appris par i>Télé la disparition de Guy-André. Immédiatement, j’ai appelé le Quai d’Orsay, où, après m’avoir posé moult questions et promené de service en service, on m’a répondu ne pas le connaître !
Cette année, j’ai suivi attentivement les vœux télévisés du président de la République. Rien sur des disparus ou des otages. Pas même un mot sur Ingrid Bétancourt, ancienne élève de Dominique de Villepin et dont la sœur Astrid vit avec un collaborateur de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Il se trouve que, le 31 décembre 2005, lors de ses vœux aux Français, Jacques Chirac avait eu une pensée pour Bernard Planche, disparu en Irak. Et cet ingénieur a été libéré quelques jours plus tard. La vie d’un ingénieur est-elle plus importante que celle d’un journaliste ?
Aujourd’hui, outre l’amertume de compter les jours et de voir des confrères muets et un gouvernement passif, je pense à la famille. Et à mon ancien camarade. Et à sa femme, sa fille que j'ai connue bébé, et sa famille dont j'ai partiellement fait la connaissance depuis moins d'un an et dont j'ignorais l'existence, tant nos conversations étaient passionnées…
André Léger
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