Après le concert des 300 jours organisé en soutien à Hervé et Stéphane et leurs accompagnateurs, les initiatives se poursuivent un peu partout en France. Comme celle du Conseil général de Meurthe-et-Moselle qui, vendredi 29 octobre, a affiché sur ses grilles les portraits des journalistes de France3, l’un originaire du Nord, l’autre de Marseille. Ci-dessous le laïus rédigé à cette occasion par Catherine Créhange, du comité départemental de soutien.
Je tiens tout d'abord à remercier le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle et le Président Michel Dinet de montrer clairement leur soutien à Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en affichant sur les grilles leurs portraits.
Je vous remercie également d'être venus.
Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ainsi que leurs trois accompagnateurs afghans, Mohamed Reza, Ghulam et Satar, ont été enlevés dans la vallée de la Kapisa, à une centaine de kilomètres de Kaboul, le 29 décembre 2009, alors qu'ils effectuaient un reportage pour le magazine d'investigation de France 3, Pièces à Conviction.
Durant les quatre premiers mois de leur détention, leurs noms ont été cachés, aucune image n'a circulé d'eux. Leurs proches et leurs collègues pensent que ce n'était pas une bonne idée, et que la médiatisation aurait été nécessaire dès le début.
Toutes les actions visant à maintenir le plus régulièrement possible leur image visible du grand public sont d’abord utiles pour eux-mêmes. Il n'est pas exclu en effet que leurs ravisseurs leur parlent de cette médiatisation ou qu'ils en entendent parler par incidence pendant leur captivité. Plusieurs des anciens otages français lors de précédents conflits l’ont en effet mentionné, comme Philippe Rochot, fait otage au Liban en 1986 avec son équipe alors qu'il enquêtait sur la mort de l'otage Michel Seurat, mais aussi Jean-Louis Normandin, enlevé avec lui à Beyrouth, qui est resté un an et demi en captivité, et qui a entendu la libération de ses camarades à la télévision qu'écoutaient ses ravisseurs, ou encore Florence Aubenas, retenue en Iraq en 2006.
Cela donne également plus de prix à leur vie, et les protège (un peu) d'actions violentes de leurs ravisseurs. En revanche, si rançon il y a, cela peut en effet faire monter les sommes réclamées ou retarder leur retour.
Cette couverture médiatique a sans doute hélas manqué à Michel Germaneau au Niger. C'est pour cela que le concert de soutien de lundi dernier, le 25 octobre, a été retransmis aussi par RFI en Afghanistan, traduit en parsi, langue que les trois-quarts des Afghans comprennent.
Les négociations pour leur libération, qui doivent bien sûr rester secrètes, ne sont pas entravées par ces actions, tant qu’elles ne donnent pas d'indication de terrain.
Ces actions sont importantes pour les familles et les proches. Une forte mobilisation du public est un soutien non négligeable.
Il faut rappeler que Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont été pris en otages alors qu'ils exerçaient tout simplement leur métier de journaliste, en allant sur le terrain pour nous informer. Sans journalistes sur le terrain, il n'y a pas d'information. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier sont des journalistes de télévision. Même si l'information en télévision est quelque chose de très construit, il n'en reste pas moins qu'il faut aller chercher la matière là où elle se trouve, c'est-à-dire sur place. Il faut parfois accepter de se trouver encadrés, «embedded» comme disent les Américains, mais il faut aussi savoir prendre des risques et voir de ses propres yeux pour rendre compte.
Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ce ne sont pas que ces photos que l'on voit sur des panneaux accrochés aux façades et à la télévision. Ce ne sont pas des icônes. Ce sont aussi deux personnes bien réelles, deux journalistes expérimentés et aguerris, deux caractères bien trempés également.
Stéphane Taponier, le Marseillais, est un grand amateur de montagne et un skieur accompli. Il est spécialiste du Proche et du Moyen-Orient. Il connaît l'Afghanistan depuis une douzaine d'années, depuis avant cette guerre, c'est-à-dire depuis la guerre d'avant. Il a rencontré le commandant Massoud en l'an 2000. Il a également couvert le tsunami en Indonésie, de nombreux conflits en Afrique, et, sur une longue période, la guerre d'Iraq, les intifadas en Palestine, et les blocus de Gaza et de Naplouse. Comme France3 le rappelait cette semaine, il a également travaillé sur la disparition de Guy-André Kieffer en Côte d’Ivoire, NDLR.
Hervé Ghesquière, le Nordiste, est rugbyman. Géographe de formation, auteur de plusieurs reportages remarqués sur les lieux de guerres en Iraq, au Koweït, en ex-Yougoslavie, en Irlande du Nord, au Cambodge et en Afrique, il a aussi réalisé avec Michel Anglade un remarquable film sur le premier exemple de nettoyage ethnique pendant la guerre en Croatie, Vukovar, la cité des âmes perdues, tourné en 1991 et 2003, avec la conscience partagée par tous deux de vivre là une page d'histoire. Ce film, jamais diffusé sur une chaîne française, a fait le tour des festivals, et a été montré au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, lorsque les crimes de guerre de Croatie ont été jugés.
Leurs accompagnateurs afghans, Mohamed Reza, Satar et Ghulam, respectivement le «fixeur», comme on dit, le traducteur et le chauffeur, sont trois hommes jeunes, pères de familles, originaires des montagnes de l'Indu Kush.
Les images que l'on a pu voir d'eux datent d'avril. Elles montrent les deux journalistes amaigris et barbus, mais apparemment en bonne santé. Depuis, aucune image d'eux n’a été diffusée, ni de photos des accompagnateurs. Officiellement, ils seraient toujours ensemble.
Il y a actuellement dix autres otages français recensés par le quai d'Orsay : les cinq employés d'Areva enlevés au Niger, qui se trouvent actuellement au Mali aux mains d'AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), trois marins enlevés dans le golfe du Nigeria, un agent français en Somalie aux mains du mouvement Al-Shabbaab, et le franco-israélien Gilad Shalit capturé à Gaza.
Il n'y a d'ailleurs pas deux prises d'otages qui se ressemblent. Les pays, les groupes, les ravisseurs, les causes, les motivations, les moyens, et même les opportunités diffèrent. Il y a quelques dénominateurs communs, comme l'argent demandé presque toujours, et la pression que tel ou tel groupe souhaite mettre sur un pays ou une organisation.
Parmi les demandes que l'on peut aussi trouver, on parle souvent d'échanges de prisonniers, qu'ils soient de guerre, politiques ou de droit commun. Certaines revendications touchent aussi à la politique de la France, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. Mercredi, un message audio de Oussama Ben Laden, authentifié jeudi par le quai d'Orsay, s'adressait pour la toute première fois à la France seule et aux Français. Il est venu nous rappeler que son organisation revendique plusieurs de ces actions.
C'est pourquoi traiter, mais également prévenir, ces prises d'otages est si difficile et si aléatoire. Ne plus aller là-bas n'est pas une solution. Les expatriés et les voyageurs sont appelés à se méfier, mais aucun stage de préparation ne permet d'approcher ce qu'est une prise d'otage dans la réalité, et l'expérience prouve que les recommandations, sauf de prudence, ne servent pas à grand chose.
La négociation est une étape très délicate, qui demande une bonne compréhension de l'autre, de l'interlocuteur que l'on a en face de soi. Agir peut être dangereux. La négociation est rarement directe, elle passe par des intermédiaires, des canaux de transmission qu'on ne maîtrise pas plus. Parfois, l'interlocuteur est versatile, ou c'est le médiateur, ou bien l'on ne parvient pas à s'entendre, et le moindre évènement, le battement d'ailes d'un papillon, peut annihiler des semaines ou des mois de discussions. Le ravisseur a plus de cartes entre ses mains. On sait par exemple dans le cas présent que la rançon demandée existe, et qu'elle a augmenté, mais on ne sait pourquoi.
La géographie aussi de la région, une vallée resserrée relativement sèche entre les hautes montagnes escarpées de l'Indu Kush, et la grande complexité de la situation militaire, politique, religieuse, et même simplement humaine de la région, expliquent qu'il soit si difficile d'approcher la zone où l'on pense, où l'on sait qu'ils sont.
Après, la négociation doit aboutir. On ne peut imaginer autre chose que leur libération, et si possible prochaine. Ensuite, ils vont devoir aussi gérer le retour, ce retour dont tous les anciens otages disent qu'il est très difficile à vivre, partagés qu'ils sont entre la joie des retrouvailles, et l'appréhension du changement. Aucun n'a repris tel quel le cours de sa vie. Tous les anciens otages le disent, il y a une vie avant et une vie après la captivité. Lire le témoignage de Jean-Louis Normandin, NDLR.
Cela fait aujourd'hui 304 jours. Le temps est long, très long pour les otages, et il n'a pas le même sens, ni pour eux, ni pour les preneurs d'otages, ni pour l'autre bord qui négocie. En ce moment, il fait encore assez doux à Kaboul, l'hiver commence dans les montagnes, les arbres fruitiers de la basse vallée ont certainement perdu leurs feuilles, il va commencer à neiger…
On pense à eux.
Catherine Créhange (au Conseil Général 54, 29 octobre 2010), photo : Jacques Prévot
A lire :
Charles Enderlin « Il n’y a pas d’autre choix que de poursuivre ce travail » (L’Humanité, 15 octobre 2010)
Qui se soucie de vous ? (Audrey Pulvar, France Inter, 10 septembre 2010)
A voir :
Un entretien avec Jean-Louis Normandin, sur le site de la TSR (01 mars 2010, durée 9 min 40, émission entière à visionner ici)
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