Il y a cinq siècles, nos deux civilisations –africaine et européenne– se rencontraient. Si l’histoire pouvait se réécrire, sans doute opterions-nous aujourd’hui pour un scénario beaucoup plus romancé de cette rencontre. Car elle s’est produite dans la violence. La violence de la volonté de domination d’une civilisation sur une autre. De la confrontation armée et des guerres de conquête. La violence des razzias négrières. Celle de la raison du plus fort, militairement, sur le plus faible. La violence de la soumission et de l’aliénation du vaincu par le vainqueur, avec l’esclavage et la colonisation. La violence de l’annihilation de l’histoire et de la culture d’êtres humains par d’autres êtres humains.
Une telle violence est inimaginable, inconcevable aujourd’hui. C’est sans doute pour cela que l’équation qui consiste pour la France à être fière de son passé africain, tout en condamnant ses aspects moralement inadmissibles, demeure jusqu’à présent très compliquée à résoudre. D’autant plus que, face à cette question, l’attitude de Marianne n’est pas toujours la plus judicieuse. Loin de là.
Consciemment ou inconsciemment, notre vision, notre perception l’un de l’autre, en tant que Noir et Blanc, sont indéniablement marquées par ce lourd passé commun. Nous nous croisons, nous nous côtoyons tous les jours. Nous travaillons et nous nous amusons ensemble. En un mot: nous vivons ensemble. Mais nous connaissons-nous vraiment, tous les deux, en tant que Noir et Blanc?
Pour ma part, de Lutèce à Paris et de Clovis à Sarkozy, oui, je vous connais. Et ce, pour une raison simple : au regard de l’Histoire, le vaincu (le colonisé) doit apprendre et connaître celle du vainqueur (le colonisateur).
Et vous? Afrique pharaonique, grands royaumes, esclavage et colonisation, histoire des Africains en France et en Europe, apports de l’Afrique à la France dans l’histoire, inventeurs, savants et héros (héroïnes) noir(e)s… Me connaissez-vous réellement, en tant que Noir? Vous apercevez, croisez, côtoyez l’homme. Mais connaissez-vous l’homme noir, d’ascendance africaine, arrivé ici il y a dix, trente, cinquante ou trois cents ans, avec une partie de son histoire écrite là-bas, et l’autre ici? Cet homme venu de là-bas, aujourd’hui citoyen d’ici?
Et si vous ne me connaissez pas, pouvez-vous me comprendre? Et sans nous comprendre, pouvons-nous vivre ensemble?
Oui, c’est de cela qu’il s’agit. De se connaître et de se comprendre pour mieux vivre ensemble. Afin d’éviter que la seule option qui nous reste offerte soit, une fois au pied du mur de l’incompréhension réciproque, le conflit.
Or c’est cette option-là que certains semblent avoir choisie. Ainsi, lentement mais sûrement, s’inscrit dans l’air du temps, une curieuse propension de ceux-là à se lâcher, à «déraper» envers la communauté à laquelle j’appartiens. C’est désormais dans l’air du temps de laisser libre cours à sa négrophobie décomplexée, au mépris de la décence, de la morale et des lois républicaines. Parce que certains savent qu’ils peuvent maintenant se le permettre. Puisqu’à chaque fois, en face, il n’y a personne. Ni élus, ni intellectuels, ni associations antiracistes. Lorsqu’il s’agit de racisme envers les Noirs, tous ces gardiens du temple de l’Égalité républicaine brillent par un vide astral. Pourquoi, me demanderez-vous? Peut-être parce qu’il ne s’agit «que» des Noirs justement. Cette communauté à la fois visible et invisible… Et qui aujourd’hui décide de dire, une fois pour toutes: ASSEZ!
Serg Mokanda
Extrait de Un Noir en colère (page 11), de Serg Mokanda, Afromundi, paru le 17 mars 2011, 13,90€ (sommaire détaillé ici).
Auteur-compositeur, Serg Mokanda dirige l’association culturelle toulousaine Afro’Events. Parce qu’une société qui discrimine est une société malade, il nous invite à sortir des concepts comme l’intégration ou l’assimilation, dépassés, pour une véritable reconnaissance des identités qui composent la République française, pluriethnique et pluriconfessionnelle.
Les commentaires récents