Avec Jacques Follorou, du Monde, la juge Isabelle Prévost-Desprez publie cette semaine chez Fayard un témoignage au titre provocateur : Une Juge à abattre (280 pages, 16€, coll. Documents).
« J’ai décidé de parler pour être fidèle à l’idée que je me fais du métier de juge. Je franchis le pas pour dire que le pouvoir de l’argent a fini par vaincre la justice. Pour raconter comment la partie a été perdue par ceux qui croient au droit s’opposant à l’arbitraire », écrit la magistrate en quatrième de couverture.
« La justice a commis plus qu’une faute, un crime de
lèse-majesté en cherchant à s’opposer aux dérives de l’argent, les juges
devaient le payer, peu importaient le temps que cela prendrait et les moyens
qu’il faudrait employer. J’ai voulu, pour ma part, transcrire l’histoire de
cette justice qui avait conquis son indépendance plus qu’on ne la lui accordée,
et se donnait encore et toujours par principe de ne faire aucune distinction
entre les riches et les pauvres ».
Mme Prévost-Desprez indique avoir été « placée sous surveillance » durant certaines audiences qu’elle présidait et avoir fait l'objet d'une « succession d'accusations grotesques et mal intentionnées ». Elle revient également sur la mise en cause dont elle a fait l’objet en décembre 2009, et dénonce une « défaite de la démocratie ».
Dimanche matin, elle était
l’invitée de Dominique Souchier sur Europe1 (premier quart d’heure de
l’émission à écouter ici).
Après avoir été substitut du procureur
au tribunal de grande instance de Lille en janvier 1985, puis au parquet de
Paris en septembre 1988, Isabelle Prévost-Desprez est devenue juge
d’instruction en 1992, à Paris. Fin 2003, elle est vice-président chargée de
l’instruction au tribunal de grande instance de Nanterre. Elle préside
désormais, toujours à Nanterre, la 15e chambre correctionnelle, chargée des
affaires économiques et financières. A ce titre, elle a vu récemment passer
entre autres l’affaire des comptes bancaires piratés (dont celui de M. Nicolas
Sarkozy) et suit l’affaire Bettencourt (récents développements ici).
Son ouvrage ne concerne pas que
son cas. « Ces coups ne visaient pas que moi, ils concernaient l'ensemble
de la justice, ils mettaient à mal son indépendance et touchaient par ricochet
tous les magistrats », écrit-elle, craignant que, avec la disparition
programmée du juge d’instruction, des affaires comme elle a pu traiter par le
passé ne deviennent plus qu’un lointain souvenir.
C'est bien de faire de la pub pour ce livre.
Certains diront qu'elle enfonce des portes ouvertes puisqu’en voyant les décisions de justice, il était « évident » que la justice est soumise au fric et aux ploutocrates. Cependant, ce n'est ici en fait qu’une supposition, une hypothèse, une présomption sans preuve, sans témoignage et sans confirmation.
Par contre, ce livre donne des indices probants et un témoignage suffisamment fort pour transformer l’hypothèse en dénonciation.
Que l’indépendance de la justice soit attaquée, cela ne surprendra guère. Je ne pense pas qu’il ait été une période où elle ne le fut pas, peu ou prou. Par habitude, les riches croient pouvoir s’acheter plus de droits qu’au citoyen ordinaire et lorsque la justice s’en mêle, ils croient pouvoir s’acheter les bons avocats, des témoins, et si cela ne suffit toujours pas, les juges ou leurs responsables (cas du lobbying intensif dans tous les parlements). Par contre, il est du devoir du monde politique de veiller à cette indépendance comme à un trésor précieux : celui la légitimité des pouvoirs. Etre au pouvoir d’un état dont la justice est corrompue, ce n’est pas la même légitimité que d’être au pouvoir d’un pays dont la justice est libre et indépendante. La honte ne saurait donc être seulement partagée par les ploutocrates, elle est aussi partagée par leurs amis politiques.
Maintenant, il est probable qu’à défaut de faire taire la juge, les ploutocrates essaient de minimiser l’impact de ce livre. C’est pourquoi, il est chouette d’en faire la pub. Bravo.
Rédigé par : Tita | 19/05/2010 à 07h39
France Info devait en parler ce mercredi matin. Je ne sais pas si cela a été le cas.
Rédigé par : Fabien | 19/05/2010 à 09h05