M. Fillon évalue ses ministres avec des consultants privés
Pour la première fois, les ministres de Nicolas Sarkozy vont recevoir leur bulletin de note trimestriel. Ces prochaines semaines, François Fillon recevra individuellement chaque membre de son équipe pour le leur remettre et le commenter. Alors qu'un remaniement est attendu après les élections municipales de mars, cette première convocation pourrait-elle prendre des allures d'« entretien préalable » à un licenciement ?
Les critères d'évaluation, propres à chacun des quinze ministres ainsi qu'au haut-commissaire aux solidarités, sont au nombre de trente. Sur la « feuille d'évaluation » de Xavier Darcos, le ministre de l'éducation nationale, on trouve le nombre d'heures supplémentaires réalisées par les enseignants et l'ancienneté des enseignants en ZEP. Sa collègue à l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, sera jugée sur le nombre d'universités ayant opté pour la nouvelle gouvernance ou le taux d'abandon en première année de licence. Brice Hortefeux, le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, sera jugé à l'aune du nombre d'étrangers en situation irrégulière expulsés et du nombre d'étrangers admis au titre de l'immigration de travail.
Nicolas Sarkozy l'avait promis, le 29 mai, après la composition du premier gouvernement Fillon : les ministres se verront assigner « des objectifs qui permettront d'évaluer leurs résultats ». Envoyées durant l'été à chacun des ministres par MM. Fillon et Sarkozy, les lettres de mission détaillaient avec précision la feuille de route de chacun. « L'Elysée nous a demandé d'élaborer, à partir des objectifs définis par ces lettres, un outil de suivi précis pour que les engagements du président soient tenus et pour passer d'une politique d'annonces à une politique de résultats », confie un des architectes politique de ce nouvel outil.
Matignon a confié une mission au cabinet en stratégie Mars & Co pour l'aider dans cet exercice inédit pour un gouvernement. « Tous les objectifs politiques de Sarkozy sont chiffrables », a conclu le cabinet. « C'était très nouveau pour les cabinets ministériels, poursuit ce conseiller ministériel. Surtout que ces indicateurs ne sont pas budgétaires ou administratifs. Ce sont avant tout des critères politiques qui visent au respect des lettres de mission, des engagements et des discours de campagne de Nicolas Sarkozy. » Pour mémoire, à l'été 2006, l'UMP avait confié aux consultants du Boston Consulting Group le soin de corédiger son programme législatif.
Ainsi, le slogan du « travailler plus pour gagner plus » s'incarne-t-il derrière l'évaluation de plusieurs ministres : les heures supplémentaires des enseignants pour M. Darcos, et le « compteur à heures sup » que Christine Lagarde, la ministre de l'économie, a été invitée à mettre en place avant juin 2008. La ministre sera aussi jugée sur un nouvel indice des prix dans la grande distribution, pour l'inciter à réformer la loi Galland.
D'une manière générale, les ministres sont invités à faire « du chiffre » : à la culture, Christine Albanel sera jugée sur « l'évolution de la fréquentation des musées lorsqu'ils sont gratuits », « la part de marché des films français en France », ou « l'évolution du piratage des fichiers audio et vidéo ». Aux affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui prépare la présidence française de l'Union européenne du deuxième semestre, doit inciter ses collègues à se rendre à Bruxelles : c'est lui qui sera rendu responsable « du nombre de ministres français présents à chacun des conseils de ministres de Bruxelles et Luxembourg ».
L'exercice, qui ambitionne d'évaluer rationnellement l'action des ministres et de l'Etat, peut avoir effets pervers. Les associations fustigent depuis longtemps l'objectif chiffré d'expulsions de sans-papiers. Surtout, il a des limites politiques : le remaniement ne reposera pas uniquement sur ce nouvel outil d'évaluation. La contribution à la politique d'ouverture, le score obtenu aux élections municipales pour les ministres candidats, leur cote de popularité et leur poids politique personnel compteront largement autant que les résultats.
Pour autant, les ministres savent que MM. Sarkozy et Fillon ne plaisantent pas : le 8 novembre, le premier ministre a rappelé les règles du jeu dans une communication en conseil des ministres. Nicolas Sarkozy avait été un précurseur : à l'intérieur, il avait mis en place une batterie d'indicateurs (taux d'élucidation des délits, atteintes aux biens, violence aux personnes).Plusieurs ministres se sont vu rappeler avant Noël que leur longévité dépendrait de leur capacité à tenir leur contrat. La ministre du logement, Christine Boutin, s'est inquiétée de ne pas pouvoir remplir ses objectifs de mise en chantier de logements et de financement de logements sociaux.
Matignon se défend de vouloir en faire « une machine à sanction, mais un moyen de mieux coordonner le travail intergouvernemental et d'installer une culture du résultat ». L'exercice d'évaluation sera intégré à la revue générale des politiques publiques, qui vise à réformer tous les domaines d'intervention de l'Etat et dont la première salve a été lancée par Nicolas Sarkozy le 12 décembre.
Le président de la République a indiqué, le 8 novembre, qu'il sélectionnerait une vingtaine d'indicateurs, parmi les 450 de ses ministres, pour en faire « de grands indicateurs destinés à rendre compte auprès des Français de l'action engagée pour moderniser en profondeur notre pays ». Une citation au tableau d'honneur que chacun des ministres aura à cœur de décrocher.
Christophe Jakubyszyn, pour Le Monde
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