Difficile pour celui qui marche aujourd'hui dans la rue Popincourt (11e) d'imaginer que les portes en bois du numéro 7, délabrées et recouvertes d'affiches déchirées, ouvraient autrefois sur une petite synagogue.
Claudine-Esther, 58 ans, et Sabeteï, 79 ans, tous les deux nés dans le quartier, se souviennent eux très bien que leurs frères et sœurs y ont fait leur bar-mitzvah. Ils se souviennent des genoux de la grand-mère sur lesquels ils s'asseyaient les soirs de shabbat et de l'endroit exact où priaient leurs familles.
Alors quand ils ont appris que le consistoire - l'institution chargée de gérer le culte hébraïque - avait l'intention de la vendre après qu'un incendie se fut déclaré dans les locaux, ils ont décidé de créer une association, Alsyete, et de se battre pour la conserver.
« S'il le transforme en boulangerie, je meurs ! »
« Nous sommes ici dans le quartier où sont arrivés les premiers juifs en provenance d'Espagne, explique Claudine-Esther, vice-présidente de l'association et elle-même née dans le 11e. Cette synagogue a été construite pour eux en 1910. Puis, quand la communauté est devenue trop importante, avec l'arrivée des juifs pieds noirs en 1962, un autre lieu de culte a ouvert dans la rue de la Roquette. » C'est à cette époque, dans les années 1960, que la petite synagogue perd son caractère de « sainteté » et devient une cantine où l'on distribue des repas pour les plus pauvres du quartier. Et c'est sur cette « reconversion » que s'appuie le consistoire pour expliquer son geste : car en tant que lieu de prière, les synagogues ne sont quasiment jamais vendues ni hypothéquées. « Dans nos registres, le 7, rue Popincourt est identifié comme un local servant à des associations, martèle Daniel Sandler, chargé de gérer les questions financières au consistoire de Paris, pas comme un lieu de culte. En plus, il est en très mauvais état sanitaire, surtout depuis l'incendie, il y a des toiles d'araignées au plafond... et il servait de cantine ! » « Mais on y jouait aussi aux cartes, ajoute Sabetaï, on s'y retrouvait entre vieux amis, on papotait en famille... Ce n'était certes plus un lieu de culte, mais un lieu de mémoire et de rassemblement pour toute la communauté du quartier. » « Et c'est un lieu d'histoire pour la capitale, répète Claudine-Esther. Il faut le conserver. S'il le transforme en boulangerie, je meurs ! »
Comme le consistoire ne semble pas vouloir changer d'avis, l'association, qui compte 150 adhérents et qui est appuyée par une pétition de 1 300 signatures, veut aujourd'hui racheter le lieu. Le but : le transformer en une maison judéo-espagnole de la culture avec un centre documentaire, des activités pour les enfants, des expositions sur l'histoire du quartier et de ses habitants, des cours de ladino (la langue judéo-espagnole), des célébrations de fêtes traditionnelles... et des après-midi « jeux de cartes. »
© Violette Lazard, pour Le Parisien
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