Un courant d'air frais souffle sur le nord de Paris avec la création de nouveaux lieux
De Belleville à la porte de Bagnolet, plusieurs galeries se sont installées récemment et proposent dans des ambiances décontractées et avenantes des oeuvres aux tarifs majoritairement accessibles. La petite nouvelle de Belleville est la galerie Gaudel de Stampa, au 3, rue de Vaucouleurs. Elle est tenue par Denis Gaudel, un ancien de la galerie Yvon Lambert, qui a ouvert depuis un mois un espace, où il montre un Français prometteur de trente-six ans : Dove Allouche.
Le propos de l'artiste, qui a été exposé au FRAC Aquitaine et au FRAC Lorraine, joue sur l'équivoque entre photo et dessin. Ainsi il a photographié du ciel les chutes d'eau de Salto Angel, au Venezuela. Il a repris les clichés pour en faire des dessins de grand format à la mine de plomb d'une belle maîtrise technique, qui jouent sur les gris et les noirs. 36 feuilles qui réduisent à une surface plane à l'apparence nuageuse ces 1 000 mètres de dénivelés. Son travail évoque celui d'un « classique » de l'art contemporain, qui travaille aussi la mine de plomb à partir de photos, l'Américain Robert Longo. On peut acquérir une de ces œuvres pour 5 000 euros. En 2003, Dove Allouche est allé au Portugal sur les sites de forêts qui avaient subi d'importants incendies. Là encore, des clichés il a tiré des dessins, qui ressemblent étrangement par leur côté sépia sombre à des tirages de paysages de Fontainebleau réalisés par les photographes du XIXe siècle. Cette série comprend pas moins de 140 dessins numérotés, en petit format, à vendre pour 1 500 euros pièce.
Le déplacement à Belleville donne l'espoir aux collectionneurs les plus motivés de pouvoir faire des découvertes. C'est ce qu'observe Claudia Cargnel de la Cosmic Galerie, installée depuis trois ans dans un ancien et vaste garage, au 7-9, rue de l'Equerre. « Les gens qui viennent ici portent plus d'attention à ce qu'ils regardent. Le public est plus choisi et nous avons réussi à attirer des grands noms de la collection », raconte la galeriste, auparavant installée dans le Marais. Dans l'exposition de groupe qu'elle montre jusqu'au 12 juillet, l'un de ses artistes est l'Italien qui vit en Suisse - il était représentant de ce pays à l'avant-dernière Biennale de Venise - Gianni Motti [voici tout juste deux ans, ce dernier avait fait une insolite proposition, comme il sait être capable d’autres facéties, note du ouaibemaître]. Il est l'objet d'une exposition au centre d'art contemporain La Criée de Rennes, jusqu'au 20 juillet. Elle suit son travail depuis quinze ans, qui consiste à créer des actions souvent empreintes d'humour, qu'il documente de différentes manières. Ainsi, lors d'un séjour à Vigo en Espagne, il s'est fait passer pour mort afin de bénéficier d'une procession avec son cercueil ouvert dans la ville. Une photo de grand format en couleur, tirée à 3 exemplaires, montre le défilé de l'artiste prétendument décédé, au milieu de la population locale. Datée de 1995, elle est à vendre pour 10 000 euros. Le courroux des villageois lorsqu'ils ont appris qu'il était vivant n'est cependant pas documenté.
Art conceptuel
Un peu plus loin, au 65, rue Rébeval, dans un petit espace, est installée la galerie Balice Hertling, qui est tenue par Daniele Balice avec une programmation variée et multidisciplinaire en alternance avec un collectif d'artistes. On peut y voir entre autres le travail d'un Américain de trente-deux ans, vivant à Paris, Oscar Tuazon. Il réalise des sculptures, qui ont toutes une justification conceptuelle. L'une d'elles apparaît comme une sorte de miroir plié dans un genre d'origami. Mais sous la couche d'aluminium, une photo est dissimulée. Ce miroir déformé fait référence à un mouvement architectural américain qui inspire l'artiste. L'oeuvre, unique, est à vendre 3.500 euros. Oscar Tuazon a fait l'objet d'une exposition au Palais de Tokyo en octobre dernier.
De l'autre côté de la rue de Belleville, la galerie doyenne du quartier est tenue par Jocelyn Wolff depuis quatre ans et demi. Même si ce dernier reconnaît que le contexte est difficile, il participe à plusieurs foires internationales, qui lui permettent d'être présent efficacement dans le paysage européen. Jusqu'au 31 juillet, il montre un des pères oubliés de l'art conceptuel, l'Allemand Franz Erhard Walther. « Dès la fin des années 1950, il a joué un rôle clef sur la scène américaine et il a été exposé dans les manifestations clefs de l'époque au MoMA, à Berne ou à la Documenta de Kassel en 1972 », observe le galeriste. Cependant durant les trente dernières années, il a surtout marqué par son travail d'enseignant auprès d'artistes très en vue et de genres différents comme les Allemands Martin Kippenberger, Jonathan Meeze ou l'Autrichien Erwin Wurm. Ce qui explique certainement son éclipse sur le marché. Les pièces qui vont de documentations sur sa vie à des traces de quelques unes de ses performances sont proposées entre quelques milliers d'euros et 40 000 euros, selon leur importance historique.
Enfin, il faut aller jusqu'à la porte de Bagnolet, dans le quartier joliment rebaptisé « la campagne à Paris », pour trouver au fond d'une cour du 3 de la rue des Montiboeufs la galerie Sémiose, ouverte en septembre dernier. Sa spécialité : les éditions et les livres d'artistes. Jusqu'au 28 juillet, elle montre le travail d'un créateur mystérieux, aux identités multiples, Taroop & Glabel. Il se nomme ainsi lorsqu'il traite dans son travail de la religion et de la société du divertissement. Mais, lorsque son œuvre parle de manière critique du marché de l'art, il se rebaptise Ernest T., et, dans ce cas, est représenté par Gabrielle Maubry, une autre galeriste parisienne. On ne connaît pas son âge, mais il a certainement plus de soixante-cinq ans.
Taroop & Glabel expose donc des créations, dont la plus connue - une édition de 8 exemplaires - est un grand Mickey en peluche multicolore crucifié, à vendre pour 2 000 euros. La majorité des œuvres, farouchement anticléricales, mélange le répertoire religieux et celui de Disney dans des juxtapositions faites d'objets trouvés et de matériaux divers comme ce Christ de métal, dont la tête est celle d'un personnage de dessin animé, le canari Titi (6 500 euros). Dessins et collages sur le même thème sont proposés à partir de 1 500 euros.
Aujourd'hui, comme l'observe le directeur de la galerie, Benoît Porcher, les plus grands adeptes de l'artiste sont d'autres artistes reconnus sur la scène française comme Alain Séchas ou Claude Closky [sites ICI, note du ouaibemaître].
Judith Benhamou-Huet, pour Les Echos (Patrimoine) du 27 juin
Balice Hertling, 65, rue Rébeval, 19e, tél. : 06 19 60 88 94.
Cosmic Galerie, 7-9, rue de l'Equerre, 19e, tél. : 01 42 71 72 73.
Galerie Jocelyn Wolff, 78, rue Julien-Lacroix, 20e, tél. : 01 42 03 05 65.
Gaudel de Stampa, 3, rue de Vaucouleurs, 11e, tél. : 01 40 21 37 38.
Sémiose, 3, rue des Montiboeufs, 20e, tél. : 08 79 26 16 38.
Attention, les galeries sont principalement ouvertes en fin de semaine.
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