Prendre aux chômeurs pour donner aux vieux : le plan du gouvernement
Sous le titre très anodin « Bertrand : “pénaliser les entreprises récalcitrantes à l'emploi des seniors” », le site Internet de La Croix a publié hier soir à 20h30 un entretien avec l’un des membres plus influents du pléthorique nouvel organigramme de l’UMP, par ailleurs depuis le dernier remaniement affublé du titre de ministre de la Famille, en sus de Travail, Relations sociales et Solidarités.
A la lecture de cet entretien, on trouve des choses somme toute assez « banales » comme « le ministre du travail Xavier Bertrand explique qu'il faut “faire mieux et plus” en matière de dépendance ».
M. Bertrand, assureur privé dans le civil, revient également sur le vieillissement de la population et la mise en place qui semble tant lui tenir à cœur d’un « cinquième risque » en matière de protection sociale, lié essentiellement à la dépendance des personnes âgées. « Il y a aujourd’hui 1,3 million de personnes de plus de 85 ans. Ils seront deux millions en 2015. On a pris du retard par le passé sur la prise en compte du vieillissement. Ne refaisons pas les mêmes erreurs. »
Jusque là, rien de très surprenant…
Rien, du moins, qui ne donne envie de lire plus en avant. Et c’est pourquoi, parce que j’ai quarante ans de moins que 85 ans, je décide de lire jusqu’au bout, et attentivement La Croix…
M. Bertrand annonce (discrètement) que le passage aux 41 ans de cotisations n’est pas négociable. Dont acte. Un chaud printemps s’annonce…
Mais, là où le ministre dit des « Solidarités » pousse le bouchon vraiment trop loin, c’est lorsqu’il déclare :
« Nous constatons que les comptes de l’assurance-chômage reviennent à l’équilibre plus rapidement que prévu. Nous sommes dans la même logique de transfert des cotisations chômage vers les régimes de retraite prévu en 2003. Nous allons baisser les cotisations chômage et augmenter à due concurrence les cotisations retraite de façon à ne pas créer de prélèvement nouveau. »
Or, pour que ces comptes soient revenus à l’équilibre « plus rapidement que prévu », ce n’est pas par une brusque embellie du marché de l’emploi. C’est à force de restrictions au détriment des chômeurs qui, cotisant pareil, voire plus, sont indemnisés moins, voire pas. Et ont même des droits à l’assurance-maladie réduits depuis 2007. M. Bertrand, qui était ministre de la Santé, devrait le savoir, puisqu’il avait la tutelle de M. Philippe Bas. Avant, un chômeur devenant malade avait des droits ouverts pour douze mois à l’issue du dernier jour indemnisé (contre trente-six pour un travailleur). Désormais, c’est pour trois mois à l’issue du dernier jour indemnisé. On peut donc – plus facilement qu’avant – être malade et non indemnisé, parce que l’on a été chômeur.
Alors pourquoi vider les caisses de l’assurance-chômage et attribuer les recettes à l’assurance-veillesse ? M. Bertrand joue-t-il au bonneteau lorsque le président Sarkozy affirme que les caisses sont vides, paquet fiscal oblige ?
Le ministre de la Santé que M. Bertrand était avant l’élection présidentielle a partiellement été responsable de ces dépenses de médicaments. Et lui, comme plusieurs de ses prédécesseurs, nous ont fait croire à un « trou » de la branche maladie de la sécurité sociale qui n’avait pas lieu d’être. Car, à lire ces 29 pages extraites de ce volumineux rapport de la Cour des comptes sur les prélèvements obligatoires et la sécurité sociale, nous n’avons pas, en France, un trou mais un excédent d’une dizaine de milliards d’euros. Des sommes faramineuses qui ont été détournées des prélèvements obligatoires sur le tabac, l’alcool, la CSG ou encore la CRDS… Au profit de qui ? Pour combler quel(s) trou(s) ?
Alors que sa cote de popularité reprend un peu d’étoffe, le président de la République s’apprête, de son côté, à annoncer un train de mesures qui serait supérieur à sept milliards d’euros d’ici 2011 . Parmi les 140 à 150 mesures dont il est question, certaines, dès le mois de mai, toucheraient, c’est un comble, … les retraites et l’assurance-maladie. Ce conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP, un plan de rigueur qui ne dit pas son nom), s’ajoutera, cela va de soi, à celui de décembre 2007. Il serait bon d'arrêter de prendre l'électeur pour plus bête qu'il n'est.
Ce matin, sur Radio Sarko Europe 1, M. Alain Juppé, maire de Bordeaux, a priori pas particulièrement hostile à un gouvernement dont il fut de façon éphémère le numéro deux de mai à juin 2007, a établi un parallèle entre la France et le Canada, où il a fait un séjour pour des raisons que l'on sait (et « où j'étais un homme parfaitement anonyme ”, précise-t-il). Il a mis en garde contre toute dérive qui consisterait à un trop grand transfert de charges sur les entités locales (régions, départements ou communes en France), expliquant qu'il fallait dorénavant deux ans d'attente pour se faire opérer d'un genou au Canada alors que lui avait vu arriver à son domicile la police en un quart d'heure, du fait du « déclenchement intempestif » du signal d'alarme de sa maison.
Ce système français, bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a peut-être des défauts, mais il ne faudrait pas, en les enlevant tous, faire perdre tous les « acquis sociaux » pour lesquels nos ancêtres se sont battus afin d'en faire un système à la dérive tel que même le couple Clinton, armé de bonnes intentions, et qui avait constaté que 37 millions de citoyens américains étaient exclus du système de santé à son arrivée au pouvoir, n'a pas réussi à redresser dans le sens d'un meilleur service rendu au public, comme le montrait hier ce documentaire sur les trente années de vie du couple Clinton.
Fabien Abitbol
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