Il y a, chez Nadine Morano, toute nouvelle secrétaire d'Etat à la famille, comme une forme de certitude. « Je serai à la hauteur », lâche-t-elle, dans le TGV qui la ramène sur ses terres, à Toul (Meurthe-et-Moselle). Curieux retour, en vérité. Le dimanche précédent, elle « fêtait » sa défaite au second tour des élections municipales, quand son téléphone portable a sonné : « C'est Nicolas, je voulais te dire que tu feras partie du gouvernement. » Voilà. Et tant pis pour les grincheux. Pour les journalistes qui l'avaient enterrée, au motif qu'elle parlait un peu trop fort, un peu trop vite.
« Quand on est responsable politique, dit-elle, c'est pour s'exprimer. Sinon on fait du tricot… » Trop voyante, aussi, trop sarkozyste, surtout. Décriée de partout. « On m'a rayée des listes pour cause de sarkozysme aigu », assure l'ancienne porte-parole de l'UMP. Une revanche, forcément, que cette entrée au gouvernement, là où on ne l'attendait plus.
La voilà, ce vendredi matin, à 44 ans, de retour, sous une pluie mêlée de neige, sur les hauteurs de Nancy. Cette grande barre grise, où tout a commencé. Elle s'extirpe de la VelSatis, grand manteau, talons aiguilles, blondeur effrontée. On la devine à l'aise dans la gadoue ou dans les escaliers qu'elle dévalait naguère quatre à quatre. Elle écoute à peine les questions, elle est partie trente ans en arrière. C'est la petite Nadine qui, de sa fenêtre, guettait les appels de phares de son père qui garait son 38 tonnes sur le parking d'en face. La gamine qui prenait une paire de claques de sa mère, ouvrière depuis l'âge de 14 ans, si elle rentrait plus tard que prévu. Et puis la bonne copine, posters aux murs de Johnny et de Claude François, recevant les messages de Rosanna, qui faisait glisser ses courriers du 15e au 5e étage, avec une pelote de laine et une pince à linge.
Rien n'a été offert à Nadine Morano, fille de parents gaullistes. Elle raconte, avec un rien de gêne, les regards de ses amis étudiants en fac de droit à Nancy : « Je souffrais, j'avais un grand retard en matière de culture. On m'a fait comprendre le poids de l'hérédité. Mais aujourd'hui, la loi, c'est moi qui la fais… » Elle l'affirme sans ambages : « Je voulais être ministre. »
A l'université, elle est déjà encartée au RPR. Elle milite, rencontre Nicolas Sarkozy dans les meetings de jeunes. Après 1995, quand il entame sa traversée du désert, elle le soutient publiquement. Et qu'importe s'il faut pour cela couper le lien avec le couple Chirac, à qui elle doit pourtant son siège de député.
En 2002, elle gagne aux forceps l'investiture pour les élections législatives, contre un candidat centriste, au prix d'un déplacement à Lyon et d'un aparté avec le candidat Chirac. En 2007, elle est réélue sans trop de soucis. Un parcours plutôt enviable, pour une responsable politique qui cumule, selon elle, quatre handicaps : « Etre femme, plutôt pas mal de sa personne, de condition modeste, et provinciale. » Jusqu'à cette défaite, aux élections municipales, contre sa rivale locale du PS, Nicole Feidt. « Je ne dirai pas le fond de ma pensée », lâche Mme Feidt. « Mme Morano est brutale, dit-elle tout de même. C'est une femme de coups, elle ne sait pas reconnaître qu'elle a tort. On a évité le pire, qu'elle soit nommée aux droits de la femme… »
Ce sera donc la famille. Elle connaît le sujet. Trois enfants, 19, 17 et 11 ans, un mari dont elle est séparée, à l'amiable. Elle est de religion catholique, ses fils ont été enfants de chœur. A Toul, elle s'est installée dans une grande bâtisse du XVIIIe siècle, achetée à crédit. « Je n'ai pas de fric, pas de patrimoine. Et je garde toutes mes factures. » Ses parents vivent avec elle. A sa mère, femme digne, elle confie le soin de gérer au quotidien sa couvée. Et puis il y a le père. La figure aimée. De loin, ce matin-là, elle l'aperçoit qui sourit, à travers la baie vitrée, cloué sur son fauteuil. « Il m'a vue… », sourit-elle. Il a 78 ans, survit tant bien que mal à un accident vasculaire cérébral qui l'a laissé à moitié paralysé et aphasique. Quand elle le serre dans ses bras, il lui prend la main et la pose contre sa joue. On devine l'infinie tendresse. A cet instant, Nadine Morano ne joue plus les femmes politiques, fortes : « Quand je suis en difficulté, je me mets contre lui, comme ça… »
L'histoire de son père se confond avec sa propre destinée politique. C'est pour lui qu'elle a porté la loi sur la fin de vie, adoptée en 2005. Sa plus grande fierté à ce jour. « Trente ans après la loi contre l'avortement, je suis montée à la tribune défendre cette loi », se souvient-elle. Elle a travaillé de concert avec le député socialiste Gaëtan Gorce. « Elle est courageuse, explique ce dernier, elle n'a pas hésité à prendre de front sa majorité. Elle est indocile et rebelle. Mais elle se fait aussi beaucoup de tort, elle a une vraie finesse de réflexion, elle vaut beaucoup mieux que l'image dans laquelle elle s'enferme. » Pour Frédéric Lefebvre, ancien du cabinet Sarkozy et député UMP, « ce qu'apprécie le président chez elle, c'est qu'elle dit les choses et sait de quoi elle parle ».
Pourquoi, alors, cette image brouillée ? « Parce qu'elle représente le cynisme le plus vulgaire de son maître », assure le député PS Arnaud Montebourg. S'il « faut des cicatrices », comme aime à le dire Nicolas Sarkozy, alors Nadine Morano en compte son lot. Les petites phrases péremptoires, ici ou là, comme lorsqu'elle accuse le PS - en plein débat sur la sécurité - de se « ranger du côté des assassins ». Jusqu'à cette dispute très médiatique avec sa nouvelle collègue du gouvernement, Fadela Amara, qui finira par la traiter de Castafiore. « Je suis caricaturée, lasérisée, dit-elle, lasse. Quand je reçois un jeune des cités, je fais tout pour le sortir de son milieu. Je lui dis de retirer sa capuche, de quitter son jogging. Fadela n'aurait pas dû employer le terme "à donf". Mais elle n'a pas assez d'expérience politique pour prendre du recul. »
Elle se dit « pragmatique », milite pour « l'exception d'euthanasie », veut donner aux enfants issus des familles homoparentales « les mêmes droits que les autres », et souhaite trouver une solution pour les femmes qui élèvent seules leur enfant « et ne peuvent même pas se déplacer pour un entretien d'embauche ». Elle continuera de détester la Gay Pride, cette « fête exhibitionniste » avec ces « types en porte-jarretelles dans les rues », et de vénérer Le Cercle des poètes disparus, son film de chevet. Elle a une obsession : « Regarder toujours devant soi, vers le haut. » De son premier conseil des ministres, elle a gardé le chevalet en bois, avec son nom inscrit, désignant sa place. Une revanche ? « Un accomplissement », préfère-t-elle.
Gérard Davet, pour l'édition du Monde datée du 28 mars, photo Fred Kihn
⇒ La vision quelque peu étrange de la famille par la nouvelle Secrétaire d’Etat à la Famille (sur un marché du 20e arrondissement, en plus détaillé, sur France 3, lors des Législatives 2007)
⇒ Si, ce 30 mars, à Dimanche + (en clair sur Canal +, archives ici), il a été question, avec Nadine Morano de Chantal Sébire et des diverses alternatives à l’actuelle loi, il n’a pas été question de la déprogrammation de M6 de ce soir.
⇒ Si Mme Morano dit vouloir donner aux enfants issus des familles homoparentales « les mêmes droits que les autres », elle a précisé, dès le 19 mars sur RTL qu'elle n'en était pas moins « ministre de la nation », chargée d'abord « d'appliquer un projet présidentiel », et que le président de la République n'était pas favorable à une telle mesure (lire ici), et l’a répété ce dimanche sur Canal +.
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