Le 5 décembre c’était la fête à la Forge, rue Ramponneau. Une fois traversé le terrain vague, on accédait à un grand atelier partagé entre artistes plasticiens, transformé pour l’occasion en lieu de concert, buvette, projection et surtout échanges.
Plusieurs centaines de personnes étaient venues fêter les 54 «carte de salarié» d’un an (!) obtenues grâce à un an de lutte et au prix de sacrifices difficiles à imaginer.
Essayons de comprendre
Il faut tenter d’imaginer la vie d’une personne sans papiers réguliers. Les 77 personnes concernées venaient en majorité d’Afrique de l’Ouest et travaillaient en France depuis au minimum 5 ans, souvent plus de 10. Le travail : souvent le bâtiment ou le nettoyage, secteurs pénibles, donc délaissés par les Français. Le statut : fréquemment l’intérim.
Les salaires, proches du minimum légal, partent pour l’essentiel «au pays» pour faire vivre la famille élargie : femme, enfants, village.
Ils ne servent pas qu’au quotidien mais aussi à construire des écoles, des dispensaires, des puits...
Contrairement aux idées reçues la grande majorité des transferts d’argent entre le nord et le sud de la planète viennent des migrants et pas de «l’aide au développement» publique.
Peut-on vivre dans la peur?
Mais vivre sans papiers cela veut dire avoir constamment peur. Un simple contrôle d’identité (tellement plus fréquent lorsqu’on a la peau noire) peut briser un projet de vie en se soldant par un retour dans le déshonneur. Un ami ou un parent tarde à un rendez-vous? Il est peut-être déjà dans un avion sans possibilité de retour. Alors on sort le moins possible pour éviter tout risque.
Sans papiers, c’est aussi sans sécurité sociale alors que l’on travaille et que l’on y cotise. C’est bien sûr sans retraite alors qu’une partie de son salaire alimente la caisse prévue à cet effet. Impossible de voyager: l’an dernier Samassa a perdu sa mère, mais il n’a pas pu aller à l’enterrement, pas pu soutenir les siens ou pleurer avec eux, pas pu les prendre dans ses bras.
Jamais de câlins non plus pour la femme et les enfants quittés depuis 5 ans et plus. Pouvons nous seulement tenter d’imaginer?
Choisir la dignité grâce à la solidarité
Voilà seulement quelques raisons pour lesquelles ces hommes ont choisi de lutter et pourtant ce choix a eu un coût. Faire grève cela signifie : pas de salaire durant des mois, perdre donc souvent son logement, dormir en se relayant sur son lieu de travail, dans des foyers, chez des amis...
Mais la grève c’est aussi se sentir acteur de son destin, se sentir ensemble à partager tant les moments difficiles que les joies quotidiennes.
Durant le campement sur le trajet du tramway, porte des Lilas, une dame très âgée a apporté spontanément le petit déjeuner, du lait chaud pour les grévistes tous les jours, au piquet du boulevard de Ménilmontant. Un café chaud était l’occasion de discuter avec les passants, nombreux à s’arrêter et à manifester leur solidarité. Le 20e est un arrondissement de gens bons. Cela fait chaud au cœur, tous en témoignent.
Lorsqu’il y a eu des coups durs, comme la maladie d’un membre d’une famille, des collectes ont été organisées. S’il y a eu des soutiens spontanés, beaucoup de volontaires émanaient de la quinzaine d’organisations constituant le comité de soutien (organisations de droits de l’homme, syndicats et quelques partis politiques); leur compétence et leur dévouement n’ont pas faibli dans les nombreuses tâches quotidiennes.
Grâce à cette mobilisation, 54 hommes ont à présent des papiers, mais d’autres nécessitent du soutien, nous en croisons très probablement. «J’étais étranger et vous m’avez accueilli».
Laura Morosini, ill.: les différents lieux d'accueil du 20e arrondissement pour les “sans-papiers” (© L'Ami du 20e)
Paru dans L’Ami du 20e, mensuel chrétien d’informations locales (avril 2011, p. 3), 16 pages à télécharger ici
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