Pour des raisons diplomatiques, une œuvre de Werner Moron, artiste belge initiateur du Front de libération de la couleur (FLC), a bien failli ne pas participer au Printemps de l’irrévérence… car jugée peu respectueuse du pays hôte, la France.
Soutenu par la Province de Liège, le Printemps de l’irrévérence se tient du 18 mars au 29 mai au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris, indique la plaquette programme (20 pages, à télécharger ici). Plaquette d’autant plus agréable à lire —et alléchante— que, d’emblée, elle donne le ton (en page 3):
«L’Irrévérence, état d’esprit, fait d’impertinence, de révolte, d’irrespect, mais aussi d’audace, d’humour et de dérision, est une constante dans la production de nombreux artistes belges francophones.
«Qu’il s’agisse d’arts plastiques, de musique, de cinéma, de littérature, voire de formes mêlant joyeusement ces disciplines, l’irrévérence irrigue tous les champs artistiques, particulièrement à Liège où les créateurs, volontiers frondeurs et insolents, font preuve d’une attitude résolument anti conformiste.
«Le Printemps de l’Irrévérence tentera de vous en présenter un florilège, des précurseurs aux créateurs émergents, à travers une importante exposition dédiée aux arts contemporains et de nombreux événements (performances, concerts, spectacles, projections…).»
Le Printemps s’ouvre avec l’exposition L’Art de l’Irrévérence, où l’on ose espérer pouvoir faire confiance à l’humour de nos voisins belges. Surtout que l’expo dure tout le temps du Printemps et participera à La Nuit des musées (14 mai). L’eau à la bouche, à voir la liste des invités qui présenteront les installations, vidéos, photographies, peintures et sculptures «une joyeuse mêlée intergénérationnelle», précise le dossier de presse (Roland Breucker, Dominique Castronovo et Bernard Secondini, Jacques Charlier, Ronald Dagonnier, Messieurs Delmotte, Eric Duyckaerts, Laurent Impeduglia, Pierre Kroll, Sophie Langohr, Jacques Lizène, Capitaine Lonchamps, Thomas Mazzarella, Benjamin Monti, Werner Moron, Yves Montmayeur, Johan Muyle, Jacques Louis, Nyst, Phil, Pol Pierart, André Stas, Marie Zolamian).
Mais… Jean-Marie Wynants nous apprenait mardi matin dans Le Soir que l’un des tableaux ne serait pas à l’expo. Intitulée «Le Ton pastel est donné», il s’agissait d’une représentation, sur fond de drapeau tricolore, de Dominique Strauss-Kahn et de Nicolas Sarkozy. Le possible candidat de gauche étant supposé être à gauche, il se trouve donc sur fond bleu, et celui de droite, à droite, est sur fond rouge. Un humour belge bien comme il faut, totalement dans le ton de l’exposition.
Le directeur du Centre Wallonie-Bruxelles ne l’entendit pas de cette oreille, qui décida de ne point exposer. Et Christian Bourgoignie expliqua au Soir: «Si nous montrons cette œuvre, on risque qu'on ne parle que de ça. Cela sera monté en épingle.» Mais en l'interdisant, on risque d'en parler plus encore?, demande Le Soir… «Je sais, c'est un casse-tête. Mais tant pis j'assume. On ne se rend pas compte de la susceptibilité des pays hôtes sur certains sujets. Je suis pour une totale liberté d'expression et je l'ai défendue lors de notre exposition précédente que la police a voulu faire fermer en raison d'images nettement plus choquantes que celle-ci. Mais ici, il s'agit de respect envers le pays qui nous accueille.»
«Si mon directeur Philippe Suinen me dit: Christian tu dois présenter cette œuvre, j'obéirai bien sûr. Mais en l'état, en vertu de ma conscience professionnelle, je ne la présente pas.», concluait-il.
Il fallait donc tirer de la lecture de la rubrique Culture du Soir deux enseignements:
• le directeur du Centre Wallonie-Bruxelles ne voulait pas offenser la susceptibilité des Français (de Sarcelles à Washington ou de Neuilly à la rue Saint-Honoré?);
• la police lui a déjà causé quelque souci à l'occasion de Congophonies Cha cha…
Le deuxième enseignement donne une idée sur la question que posait le premier.
Dans la journée, Christian Bourgoignie a eu un entretien avec son supérieur hiérarchique, l’administrateur général de Wallonie-Bruxelles International, Philippe Suinen: au nom du principe de la liberté d’expression, le tableau devrait être exposé.
Fabien Abitbol, ill.: Le Ton pastel est donné © Werner Moron
(merci à Anne-Marie pour l’alerte)
Printemps de l’Irrévérence / L’Art de l’Irrévérence
Centre Wallonie-Bruxelles à Paris – 127/129, rue Saint-Martin (4e) – M° Rambuteau, Hôtel-de-Ville ou Châtelet, bus 96 - Tous les jours du lundi au vendredi de 9h à 19h, les samedis et dimanches de 11h à 19h. Fermé les jours fériés.