«Tiens, je vais vous flooder un peu mais j’ai envie de vous raconter une histoire authentique». Ce message publié sur le réseau social twitter ce vendredi 11 mai à 13h29, heure à laquelle certains préparent leur fin de semaine, d’autres s’activent sur leurs recommandations (les fameux #FollowFriday), émanait du compte de @Maitre_Eolas, par ailleurs taulier du Journal d’un avocat. Donc promettait.
Voici donc, in extenso, en messages de 140 signes au maximum, l’histoire contée par l’avocat, d'un dossier dont il a eu à s'occuper. Un dossier, en l'occurrence un être humain…
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Tout est vrai sauf le prénom et le nom du pays où ça se passe, mais c'est en Europe, terriblement près de Paris.
Martina est née en Bordurie, ce qui déjà n'est pas de bol. Mais être née fille en Bordurie, c'est la mouise absolue, vous allez voir.
Martina a un frère. Sa mère est tombée malade et ne peut plus avoir d'enfant. En Bordurie, avoir plein de fils, c'est bien.
Le destin de Martina est tout tracé : elle va aller à l'école tant qu'elle est trop petite pour aider à la ferme, mais n'ira pas au collège
A 14-15 ans, elle sera promise par son père à un type qui a plein de chèvres, mariée à 18 ans, et bon débarras.
Seulement voilà, Martina, l'école, elle adore ça. Elle est douée, la meilleure de sa classe.
Donc déjà, elle se fait casser la gueule par les garçons qui ne supportent pas qu'une fille aient de meilleures notes qu'eux.
Martina s'en fout, avec les torgnoles que son père lui colle à la maison, elle encaisse très bien.
Elle finit le primaire et veut aller au collège. Le père refuse. La mère prend sa défense. Torgnoles.
Finalement, le père cède, mais à la condition que ça ne lui coûte pas un centime bordure.
Pendant tout le collège et le lycée, Martina va se lever à l'aube marcher 3 km jusqu'à la route, prendre le bus pour Szohôd, idem le soir.
Toutes ses vacances, elle les passe à garder les brebis et les chèvres pour payer ses études. Pas un jour de vacances de son enfance.
Voilà, la partie rigolote de l'histoire est terminée.
Martina veut continuer ses études et faire médecine. Refus de son père. Martina a 18 ans, elle va se marier.
La mère de Martina est malade. Elle est même mourante, son mari n'ayant pas voulu payer les soins de son cancer.
Sur son lit de mort, elle fait promettre à son époux qu'il laissera Martina continuer ses études. Et là une chose inouïe se passe.
Pour la seule fois de sa vie, il va faire ce que lui demande son épouse. Martina peut suivre ses études, mais il ne paiera pas.
Martina s'installe donc à Szohôd pour ses études, et travaille à côté comme serveuse pour les financer.
Et là, Martina réalise que les hommes ne l’intéressent pas du tout. Martina aime les femmes.
Naitre en bordurie, c'est pas de bol. naitre fille en Bordurie, c'est la mouise. Mais être lesbienne en Bordurie, dur de faire pire.
Elle fréquente le milieu lesbien de Szohôd, composé de… 8 lesbiennes. Szohôd,c'est un village, mais avec des réverbères car c'est la capitale
Elle est vue dans LE bas lesbien de Szohôd, et ça finit par arriver aux oreilles du papa.
Furieux, déshonoré, le père envoie son fils chercher Martina, de force. Martina est battue comme plâtre et séquestrée dans la cave.
Le père dit que ces conneries, c'est fini, elle épousera monsieur Chèvres, et va prévenir le maire pour que les papiers soient signés.
Au bout d'une demi heure environ, la porte de la cave s'ouvre. C'est sa belle soeur.
Elle dit à Martina de s'enfuir, qu'elle est top intelligente, elle ne peut pas finir dans ce trou comme elle.
Elle lui donne le peu d'argent qu'elle a pu piquer à son mari. Martina ne demande pas son reste et s'enfuit.
En cavalant à travers la campagne bordure, elle réalise que sa belle soeur s'est probablement suicidée en faisant ça.
Les crimes d'honneur existent en Bordurie,et un mari qui tuerait son épouse qui l'a volé et a déshonoré la famille ne sera jamais poursuivi.
Martina est arrivée à la frontière syldave. Son objectif, c'est d'aller dans un pays dont on lui a parlé quand elle allait à l'école.
C'est un beau pays, où les femmes sont libres de choisir leur métier, leur époux, et peuvent vivre leur homosexualité au grand jour.
Ce beau pays, ce paradis, cet espoir ultime avant la mort, c'est la France.
Martina a réussi à arriver en France, après un périple qu’elle a promis aux passeurs qui l'ont aidé de ne pas raconter.
Elle a évité, comme on le lui a bien dit, la police aux frontières, les zones d'attente, synonyme de retour express en Bordurie.
Martina, qui ne manque pas de ressources, a triomphé des embuches administratives et pu déposer un dossier complet de demande d'asile.
Elle a attendu six mois pour être reçue à l'OFPRA. En six mois, elle a appris à parler un français remarquable.
Martina s'est vu accorder le statut de réfugiée par l'OFPRA, en raison des craintes qu'elle a du fait de son homosexualité et de sa famille.
Elle n'a pas eu son diplôme de médecine, ses études bordures n'ont aucune valeur en France.
Martina travaille désormais comme agent d'entretien dans un hôpital.
Je vous laisse réaliser la chance qu'a la France d'accueillir en son sein une femme comme Martina, …
…qui depuis ses 9 ans mène sa vie comme elle veut, malgré les pires obstacles qu'elle a pu connaitre. Merci Martina.
Je précise, suite à des questions et remarques, que Martina est arrivée en France pendant que N. Sarkozy était président.
NB: La Bordurie dont parle Maître Eolas se trouve en Europe, mais n’est pas un pays membre de l’Union européenne.
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