On a beaucoup entendu parler de télés ou radios mises en garde ou en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour avoir couvert les attentats de Paris au mois de janvier. On a aussi entendu des journalistes en appeler à la liberté d'information. Mais sans savoir précisément ce qui était reproché à tel ou tel média. Les décisions du CSA ont commencé à être publiées au JO daté de mardi dernier: il est donc temps de faire un point...
Tout d'abord, il convient de préciser la nuance entre "mise en garde" et "mise en demeure" dans l'échelle de gravité des faits que le CSA peut reprocher à un média. La mise en garde correspond à un manquement déontologique "grave" et peut, si elle est réitérée, entraîner une mise en demeure. Après la "lettre simple" et la "lettre ferme", la mise en garde est le troisième niveau d'intervention du CSA. La mise en demeure, elle, est un cran au-dessus: constatant une "atteinte caractérisée aux obligations de l'éditeur", elle est le premier échelon (sur trois également) des procédures légales. À vocation "pédagogique" et avec une valeur dite "d'avertissement", la mise en demeure, en tant que procédure légale, fait l'objet d'une publication au Journal officiel.
Deux jours après le sanglant attentat dans les locaux de Charlie-Hebdo, le CSA adressait une note aux rédactions, les appelant au plus grand discernement dans le traitement de l'information. Cette note était envoyée "dans le double objectif d’assurer la sécurité de leurs équipes et de permettre aux forces de l’ordre de remplir leur mission avec toute l’efficacité requise", alors qu'une imprimerie proche de l'aéroport de Roissy était encerclée par les forces de l'ordre et que le secteur de la Porte de Vincennes était lui aussi bouclé. Cette note n'a pas empêché l'emballement médiatique...
Du coup, le 15 janvier, le CSA a réuni les responsables des chaînes de TV et des radios afin de lancer une réflexion commune. Évidemment, cela n'exonérait pas l'autorité de contrôle de remplir le rôle que la loi prévoit (lire l'Article 3-1 de la loi Léotard de 1986 consolidé): s'assurer du respect des principes et des règles de la communication audiovisuelle par ces médias.
Le CSA ne s'est réuni en séance plénière qu'un mois après les attentats de Paris, le 11 février, après avoir analysé 500 heures de programmes. Au total, 36 manquements ont été relevés, donnant lieu à 15 mises en garde et 21 mises en demeure.
Les médias ont (en nombre) surtout reçu des reproches pour ce qui s'est passé le 9 janvier à Dammartin-en-Goële et à la Porte de Vincennes. Trois types de reproches ont été faits aux radios et télévisions.
1/ France 2, TF1 et RMC ont signalé la présence d'une personne cachée dans l'imprimerie où les frères Kouachi s'étaient retranchés tandis que de leur côté BFMTV et LCI émettaient l'hypothèse qu'une ou plusieurs personnes étaient cachées dans une chambre froide ou une réserve de l'épicerie cacher de Paris.
Pour le CSA, la diffusion de ces informations, à l’heure où les terroristes pouvaient encore agir, était susceptible de menacer gravement la sécurité des personnes retenues dans les lieux. Ces médias ont donc été mis en demeure de ne plus renouveler de tels manquements à l’ordre public.
2/ France 3 et Canal+ ont montré des images de l'assaut des forces de l'ordre, y compris les tirs mortels sur Amedy Coulibaly, pour mettre fin à la prise d'otages du magasin HyperCacher de la Porte de Vincennes. Le CSA a considéré que "ces images insistantes, susceptibles de nourrir les tensions et les antagonismes, pouvaient contribuer à troubler l’ordre public" et a mis en garde ces chaînes.
3/ Treize radios et télévisions se sont vu reprocher le même grief: avoir annoncé que des affrontements avaient lieu à Dammartin-en-Goële alors que le preneur d'otages de la Porte de Vincennes n'avait pas encore été neutralisé. Considérant que la divulgation de cette information "aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour les otages de l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, dans la mesure où Amedy Coulibaly avait déclaré lier leur sort à celui de ses complices de Dammartin-en-Goële", le CSA a adressé une mise en demeure à BFMTV, Euronews, France 2, France 24, iTélé, LCI, TF1, Europe 1, France Info, France Inter, RFI, RMC, et RTL afin que ces médias respectent l'impératif de sauvegarde de l'ordre public.
Concernant l'attentat à Charlie-Hebdo et ses conséquences, moins de médias se sont attirés les foudres de la Haute autorité. Là aussi, les griefs ont concerné trois points précis du déroulé des évènements.
1/ France 24 a diffusé une séquence de l'assassinat du policier Ahmed Merabet devant les locaux de Charlie-Hebdo. "Même si l’instant précis de la mort n’a pas été montré, cette séquence faisait entendre les détonations d’arme à feu ainsi que la voix de la victime et exposait son visage et sa situation de détresse", déplore le CSA, qui considère que la diffusion de ces images "a porté atteinte au respect de la dignité de la personne humaine". Le service public de l'audiovisuel extérieur de la France a reçu une mise en demeure.
Pour sa part, France 5 a diffusé la une du Daily News, non floutée. Le journal britannique montrait l'image du policier à terre "dans une situation de détresse", quelques secondes avant son assassinat, sans respect de la dignité de la personne humaine. Le service public de l'audiovisuel français a écopé d'une mise en garde.
2/ Cinq chaînes de télé (BFMTV, France 2, iTélé, LCI et TF1) ont donné l'identité d'une personne mise en cause en laissant entendre qu'elle faisait partie des terroristes. "Même en entourant cette information de certaines précautions", le CSA a estimé que ces "ont non seulement manqué de mesure dans le traitement de l’enquête, mais encore pris le risque d’alimenter les tensions dans la population à partir d’une allégation qui s’est révélée inexacte". Des mises en garde leur ont été adressées.
3/ LCI et iTélé ont diffusé des informations permettant l'identification des frères Kouachi avant la diffusion de l'appel à témoin lancé par la préfecture de police, et "en dépit des demandes précises et insistantes du procureur de la République". Selon le CSA, cette divulgation d'information pouvait permettre aux fugitifs "de comprendre qu’ils avaient été identifiés et qu’ils étaient activement recherchés, ce qui risquait de perturber l’action des autorités". Ces deux chaînes ont été mises en demeure de respecter leurs obligations relatives à l'ordre public.
Au Journal Officiel du 12 février n'ont été publiées "que" 13 décisions, toutes intégrées dans le texte ci-dessus, et toutes des mises en demeure. Certaines mises en demeure concernent plusieurs griefs. Toutefois, dans le courant de la semaine écoulée, les autres décisions n'avaient toujours pas été publiées.