Marxiste, tendance Thierry
Les Echos consacrent un portrait au chef étoilé de Ménilmontant
Le quotidien économique de ce jour, à deux semaines de la parution du « Guide rouge », consacre un portrait à Thierry Marx, enfant né en 1962 dans le quartier de Saint-Fargeau (20e arrondissement), qui a toujours rêvé de devenir boulanger, à force de passer et de repasser devant la boulangerie Ganachaud. Raté ! Il est cuisinier, avec deux étoiles au célèbre guide culinaire (il a loupé de peu la troisième en 2004, dit-on dans le milieu) et a été élu chef de l'année 2006 par Gault&Millau… avec un 19/20. On n'a pas forcément ce qu'on veut dans la vie, mais parfois mieux !
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Elu chef de l'année 2006 par Gault&Millau, Thierry Marx à fait du Château de Cordeillan-Bages une table très courtisée. Ouvert sur le monde, aussi à l'aise dans un Relais&Château que dans un camion à pizza lors du dernier Fooding d'été, ce chef iconoclaste milite également pour réhabiliter la cuisine des rues.
Photo Château de Cordeillan-Bages
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Né rue du Groupe-Manouchian (ce qui, paraît-il, faisait la fierté de son grand-père, qui avait fui les pogroms de l’Est à l’orée des années 10 et qui militait au Parti communiste), le petit Thierry dut s’installer avec sa famille au 140, rue de Ménilmontant, devenu aujourd'hui ce qu'il est…
En 1978, il entra chez les Compagnons du Devoir et devint… pâtissier, chocolatier et glacier. Pas boulanger comme il le rêvait ! Puis il fut parachutiste au Liban, auprès des Chrétiens Maronites. Quand on habite à 400 mètres de la rue du Liban et de la rue des Maronites, voilà qui peut donner à réfléchir. D'autant qu'à l'époque le siège de Médecins sans frontières se trouvait aussi là… à l'angle de la rue de Ménilmontant et celle des Amandiers.
Ceinture noire de judo, amoureux fou du Japon, Thierry Marx est un chef pour le moins singulier. On le dit généreux et inventif. Pour avoir deux étoiles au Michelin en étant parti de rien, c’est sans doute vrai !
Merci aux Echos d’avoir pensé à ce « p’tit gars » d'Ménilmontant pour son « Série Limitée » n°60 de ce 15 février ! Celui que l’on surnomme, du fait de son physique, « le Bruce Willis de la gastronomie française »…
Fabien Abitbol
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Thierry Marx
Avec lui, les meringues cuisent dans l'azote, l'eau de mer croustille, les soufflés tiennent sans cuisson.
Zen et concentré derrière son piano, l'homme en blanc a des faux airs de Bruce Willis, en moins blasé et plus en rondeurs. Pâtissier puis compagnon du Devoir, Thierry Marx a fait ses classes dans des maisons prestigieuses comme Ledoyen, Taillevent ou encore Alain Chapel.
Gratifié de deux étoiles par le Michelin et d'une note de 19/20 au Gault & Millau, élu Meilleur Chef de l'année 2006, Thierry Marx pratique son art en Gironde, au château Cordeillan-Bages. Audacieux, un peu alchimiste, Marx transmute ses produits frais, achetés à Bordeaux sur le marché des Capucins, en chefs-d'oeuvre culinaires. Il manie émulsions, fusions, cryogénisation, déshydratation, des techniques qui lui servent à destructurer ses compositions pour surprendre les papilles en jouant sur le duo température-texture. Avec lui, les meringues cuisent dans l'azote, l'eau de mer croustille, les soufflés tiennent sans cuisson. Il a mis huit semaines pour atteindre l'équilibre magistral des saveurs de ses spaghettis aux ris de veau, cèpes et truffes. Ultra-perfectionniste, le chef a poussé le souci du détail jusqu'à dessiner lui-même son service de table afin de mettre ses plats en scène tout en optimisant les qualités thermiques de la porcelaine. Dès qu'il quitte ses cuisines, ce quatrième dan de jiu-jitsu enseigne les arts martiaux, l'autre passion de sa vie.
Série Limitée : Quelles sont vos premières émotions culinaires, vos influences ?
Thierry Marx : Celle de l'odeur du pain. Lorsque la famille Ganachaud s'est installée dans mon quartier, à Ménilmontant, je restais le nez collé à la vitrine, fasciné par cette boulangerie. À la maison, ma grand-mère était spécialiste dans l'art d'accommoder les restes et on mangeait souvent sur le pouce du pastrami et des cornichons molossols. De son pot-au-feu du lundi, elle confectionnait un bouillon pour le jeudi. Grâce à elle, je suis d'abord devenu un spécialiste de la cuisine des placards ! Mes influences ? Étant né entre Belleville et Ménilmontant, elles sont planétaires. Chaque matin en allant à l'école, je m'offrais un véritable voyage sensoriel, j'humais l'odeur des falafels tunisiens, découvrais les vitrines des restaurants d'Asie du Sud-Est, les étals des épiceries africaines ou casher des ashkénazes. À l'heure des devoirs, j'entendais siffler les Cocotte-Minute des concierges du quartier. Lors de mes débuts derrière les fourneaux, à la croisée de ces chemins, je n'avais pas, comme la plupart de mes confrères, un savoir-faire régional, la culture d'un terroir particulier qui vous conduit naturellement sur un chemin professionnel et vers un établissement.
S.L. : Que représente la cuisine dans la société ?
T.M. : Un psychologue m'a dit un jour : « Le carrefour des mets et celui des mots est le même. » Dans ce monde, deux choses me semblent universelles : faire la guerre et se nourrir - malheur et bonheur - depuis la nuit des temps. Prenez Talleyrand. Après la défaite de Napoléon, il a organisé le dîner du congrès de Vienne avec un chef français d'exception qui fit venir des mets raffinés dans la capitale autrichienne : homards de Roscoff, coulommiers, grands crus, etc. Ce fabuleux banquet auquel participaient les vainqueurs leur a laissé croire que notre pays était encore prospère. Aujourd'hui, les grands dîners d'État au palais de l'Élysée ou au Quai d'Orsay servent les intérêts économiques et politiques du pays. L'excellence de notre cuisine affirme notre identité et un certain art de vivre que l'on nous envie toujours.
S.L. : Certains chefs médiatiques jouent sur leur image et ont un ego très développé. Est-ce votre cas ?
T.M. : J'essaie surtout de rester moi-même, mais tout n'est pas mauvais dans l'ego. Il faut juste ne pas se fabriquer un personnage factice, ne pas surfer sur une tendance qui ne vous correspond pas. Le look reste un code comme un autre. Moi, je ne me vois pas recevoir mes hôtes en costume trois pièces. J'aurais sans doute préféré avoir un physique de surfeur et mesurer 1 m 80 ! (rires) Si certains chefs ont des ego surdimensionnés, c'est aussi dû au côté artistique de ce métier tout en démesure. Mais de là à chercher à imposer aux autres un discours dogmatique ou à tyranniser ses équipes, il y a un pas à ne pas franchir. En cuisine, un chef doit être un formidable entraîneur, motiver chacun pour que ses ordres soient compris plutôt que subis et pour aller ensemble vers un objectif commun. Chaque service est un match à gagner.
S.L. : Où trouvez-vous votre inspiration ?
T.M. : La cuisine reste mon évasion ultime, un rêve éveillé toujours merveilleux. Un chef est un véritable buvard, s'inspirant çà et là des petits riens de la vie de tous les jours : l'atmosphère d'un marché, une rencontre… tout me donne des idées. Tenez, je me souviens du film Buena Vista Social Club évoquant le parcours de musiciens cubains pauvres. L'un d'entre eux raconte que sa grand-mère lui achetait un aileron de volaille qu'elle rôtissait sur un brasero avant de le plonger dans un verre d'eau qui, par échange thermique, donnait un bouillon et ainsi deux plats en un. En sortant du cinéma, j'ai griffonné une nouvelle idée de recette inventée sur le même principe. La cuisine est vivante, elle évolue avec son époque et son environnement qui, avouons-le, a bien changé depuis Escoffier.
S.L. : La cuisine est-elle un art ?
T.M. : Un art et un artisanat. Lorsqu'un chef réalise un plat, il fait appel à sa créativité, puis il doit le dupliquer parfaitement, et là, c'est de l'artisanat. Moi, j'ai toujours un pied entre ordre et désordre, étant à la fois un créatif à l'affût de tout et un artisan travaillant patiemment et minutieusement pour atteindre l'excellence. Comme tout ce qui relève de l'art, la cuisine est l'oeuvre d'hommes authentiques.
S.L. : Existe-t-il une querelle des anciens et des modernes dans l'univers des étoilés ?
T.M. : Comme dans d'autres domaines, il ne peut y avoir de créativité sans base classique. De grands aînés, comme Paul Bocuse (le premier à avoir intégré la mondialisation dans la cuisine), ont ouvert la voie où se sont engouffrés Guérard, Chapel et Roellinger. Mais à un moment, il faut savoir « tuer le père », comme disent les psys, pour trouver sa propre voie. Aujourd'hui, le débat n'est plus franco-français mais plutôt planétaire, car on trouve d'excellents chefs espagnols, anglais, américains, etc., sur tous les continents. Mais les Français s'exportent bien grâce à leur compétence et à une transmission de savoir-faire toujours vivace.
S.L. : Encensé par les guides gastronomiques, êtes-vous toujours sensible aux critiques de vos clients ?
T.M. : Plus que jamais. Dans notre profession, on ne prend pas suffisamment en compte les émotions des clients. Moi, je souhaite connaître le ressenti de mes convives par rapport à un plat. Depuis cinq ans, de temps en temps sur une table de quatre personnes, trois paient l'addition, la dernière déjeune ou dîne gracieusement en échange d'une critique argumentée. J'obtiens ainsi des retours sur la perception des arômes, les couleurs des plats, la lisibilité de la carte. Cela me guide pour l'évolution de ma cuisine car le souci primordial d'un chef, c'est de donner du plaisir.
S.L. : Malgré un emploi du temps surchargé, vous continuez d'enseigner et de pratiquer les arts martiaux.
T.M. : Les arts martiaux me passionnent autant que la cuisine. Enfant, à Belleville, j'ai pris des cours de judo, puis de jiu-jitsu et d'aïkido. Aujourd'hui, j'anime un club où j'enseigne et m'entraîne quatre fois par semaine. Certains élèves apprennent par hasard que je suis un chef étoilé. C'est pour moi un point d'équilibre qui m'a donné une meilleure connaissance de l'humain : comme avec la cuisine, il faut donner pour recevoir. J'ai appris ici à gérer le temps et l'espace, à respirer pour évacuer le stress et enfin à écouter les autres. Les chefs japonais qui furent mes maîtres possédaient toujours cette dynamique souple du mouvement dans leur cuisine que l'on retrouve dans l'aïkido. J'essaie de garder le même élan vital, sur un tatami comme derrière les fourneaux.
S.L. : Pourquoi une telle fascination pour le Japon ?
T.M. : Parce qu'il existe un vrai parallèle entre nos deux cultures. Les chefs nippons partagent avec nous la sublimation du produit dans l'instantanéité de la fraîcheur ; ils ont envie de « lux », cette lumière du beau qui rend un filet de maquereau magnifique ! La cuisine japonaise demeure très technique. Grâce à elle, j'ai appris à découper le poisson parfaitement, là-bas un art majeur où l'erreur n'a pas sa place. Le raffinement de la cuisine traditionnelle Kaïseki (*) servant des mets en accord avec les quatre saisons m'a influencé, avec son jeu de texture, de température, sa codification et son rythme précis de neuf plats et neuf temps. Je pense que si les Japonais m'ont fait confiance pour représenter leur cuisine - on m'a proposé d'ouvrir un restaurant japonais à Londres -, c'est qu'ils estiment que je suis capable d'interpréter n'importe lequel de leur plat sans le trahir. C'est exactement ce que j'essaie de faire avec la cuisine traditionnelle française que je revisite à ma façon. J'ai fait mienne la devise d'un de mes mentors japonais : « La cuisine se regarde, se médite et se mange. » Si les Japonais n'ont rien inventé, ils n'ont pas leur pareil pour tout sublimer.
S.L. : Quels sont vos projets ?
T.M. : Je viens de publier Easy Marx (éditions Minerva), un livre de 500 recettes faciles. À Pâques, j'ouvrirai à Paris ma première boutique, Easy Marx. On y trouvera de bons produits et des plats à emporter ou à manger sur place, réalisés sous les yeux des clients, un peu comme dans les échoppes populaires des quartiers tokyoïtes. Je travaille également sur une BD, Street Marx, qui présentera, à la façon des mangas, des recettes de rue de Bangkok, Hong Kong, Séoul et d'ailleurs. Je souhaite aussi continuer l'enseignement à travers des cours de cuisine ludiques et abordables y compris pour les néophytes.
(*) Kaïseki est une cuisine gastronomique traditionnelle, raffinée et extrêmement codifiée où chaque détail à valeur de symbole. Les plats sont servis dans un ordre précis respectant certains usages : les bols de riz ne sont remplis qu'au cinquième. Chaque légume, chaque poisson doivent être de saison.
Château Cordeillan-Bages
Route des Châteaux
33250 Pauillac
Tél. : 05 56 59 24 24.
Site ICI.
Propos recueillis par Nicolas Ponse
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Le Japon comme source d’inspiration
Globe-trotter invétéré, le chef de file de la cuisine planétaire a parcouru tous les continents. À 20 ans, il a même été parachutiste au Liban ! Au Regency Sheraton Hotel de Sydney, ce pâtissier talentueux se fait remarquer par ses pairs. L'année 1988 marque sa première étoile, qui couronne son travail au Roc-en-Val, près de Tours. Il décroche une deuxième étoile à Nîmes. Mais l'homme a encore des envies d'ailleurs et pose sa valise au fil de ses errances, tantôt à New York où il est pâtissier, à Hong Kong ou Tokyo où il s'initie aux arcanes de la très raffinée cuisine Kaïseki, puis, dernière étape, à Singapour. En 1996, il quitte l'Asie pour s'installer en Médoc, à Pauillac, dans un château bordelais transformé en havre zen où il régale désormais les gourmets du monde entier venus goûter et se laisser surprendre par sa cuisine avant-gardiste. Le chef étoilé séjourne régulièrement trois mois au Japon où il se ressource et enseigne au French Food Culture Center (FFCC), la plus prestigieuse école hôtelière nippone.
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